C’est un débat judiciaire inédit qui s’ouvre en France. TotalEnergies doit répondre ce jeudi devant le tribunal judiciaire de Paris d’accusations de « publicités mensongères » portées par trois ONG. Greenpeace France, les Amis de la Terre France et Notre affaire à tous ont assigné le groupe français en mars 2022 pour « pratiques commerciales trompeuses » en raison d’allégations laissant penser qu’il pouvait atteindre la neutralité carbone tout en continuant à produire du pétrole et du gaz.
La procédure, fondée sur une directive européenne relative aux pratiques commerciales déloyales, est une première en France pour le secteur des hydrocarbures, insiste Greenpeace. « Le jugement devrait être rendu quelques semaines ou mois plus tard », selon l’association.
Quels sont les messages de communication mis en cause ?
Les associations mettent en cause des messages publicitaires et de communication diffusés à partir de mai 2021, notamment sur son site Internet, dans la presse et sur les réseaux sociaux. À l’époque, Total avait changé de nom pour TotalEnergies, pour souligner ses investissements dans les énergies renouvelables. TotalEnergies promouvait alors son objectif de « neutralité carbone d’ici à 2050 », en ajoutant souvent « ensemble avec la société », et vantait le gaz comme « l’énergie fossile la moins émettrice de gaz à effet de serre ».
En quoi ces allégations sont jugées mensongères ?
Mais le groupe conditionne alors son objectif de « neutralité carbone » au fait que « la société », c’est-à-dire les pays où elle a des activités, impose la sortie des énergies fossiles. Sans quoi TotalEnergies ne compte pas arrêter ses activités dans les hydrocarbures.
Quant au bilan climatique du gaz, il est contesté par les experts du climat en raison de ses fuites de méthane, au pouvoir très échauffant pour l’atmosphère. Le bilan carbone du gaz naturel liquéfié (GNL) peut rivaliser dans certains cas avec celui du charbon, ont montré plusieurs études.
La major « ne devrait pas pouvoir diffuser auprès des consommateurs ces allégations qui sont contraires à la réalité : sa stratégie d’expansion des énergies fossiles est clairement contradictoire avec l’enjeu, scientifiquement fondé, de réduction immédiate et massive des émissions de gaz à effet de serre et de diminution de l’usage des énergies fossiles », soulignaient ainsi les associations à l’occasion de l’assemblée générale annuelle du groupe.
Selon Apolline Cagnat, responsable juridique de Greenpeace, les communications de TotalEnergies auraient induit les consommateurs en erreur en leur laissant croire qu’en achetant des produits TotalEnergies, ils s’inscrivent dans un cercle vertueux sans pouvoir prendre conscience qu’en réalité les investissements et la production du groupe sont « largement fondés sur les énergies fossiles », le pétrole et de plus en plus le gaz, qu’il présente comme une alternative au pétrole et au charbon.
Les associations demandent ainsi au tribunal « d’ordonner la cessation immédiate sous astreinte des pratiques commerciales trompeuses » et « l’insertion de mentions informatives sur les communications commerciales du groupe » liées à ses engagements climatiques. Si tel était le cas, là, ce serait un « signal fort » vers les entreprises d’énergies fossiles, souligne Apolline Cagnat.
Ce que répond TotalEnergies
« TotalEnergies va pouvoir exposer en quoi les communications de notre compagnie, sur son changement de nom, sa stratégie et son rôle dans la transition énergétique sont fiables et fondées sur des données objectives et vérifiables », a indiqué à l’AFP le groupe en soulignant qu’il « met sa stratégie en œuvre de manière concrète (investissements, nouveaux métiers, baisse significative des émissions directes de gaz à effet de serre…) ».
Le groupe français considère qu’« aucune pratique commerciale trompeuse ne peut [lui] être reprochée », dès lors que « la communication (…) sur [son] changement de nom et [sa] stratégie de transition relève de [sa] communication institutionnelle et se distingue de la publicité commerciale, qui relève du code de la consommation », a-t-elle par ailleurs indiqué au journal Le Monde.
La major pétrolière a indiqué au Monde avoir baissé de 36 % ses émissions de gaz à effet de serre sur ses installations pétrolières et gazières et de 55 % ses émissions de méthane. Elle se dit « en ligne avec [ses] ambitions (…) en termes de réduction des émissions de méthane et de CO₂ ».
Quels sont les précédents en Europe ?
En Europe, des tribunaux ont déjà épinglé la compagnie KLM en 2024 pour « greenwashing » (écoblanchiment), soit le fait de se clamer plus vertueux qu’on ne l’est, via le droit de la consommation, et Lufthansa, en mars dernier. TotalEnergies est par ailleurs sous le coup d’une autre enquête pénale ouverte à Nanterre en 2021 pour « pratiques commerciales trompeuses » après une plainte d’associations.
(Avec AFP)
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Marius Bocquet