Guerre Israël-Gaza : au cœur du cauchemar

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Guerre Israël-Gaza : au cœur du cauchemar





















L’opération “Chariots de Gédéon” marque un tournant dans la stratégie israélienne. Plus de raids temporaires mais l’occupation et le maintien des forces israéliennes dans les zones conquises.
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Témoignages

Par Pierre-Simon Assouline

Publié le

L’opération israélienne baptisée « Chariots de Gédéon » a récemment été lancée avec l’objectif d’occuper la bande de Gaza et de déplacer sa population. Pour Marianne, une habitante de Gaza, un militaire israélien et une mère de famille victime du 7 octobre ont accepté de se confier sur leur perception de cette guerre.

Depuis le début du mois, le gouvernement israélien a approuvé l’opération visant le déplacement de la population et le contrôle du territoire par l’État hébreu. Une fuite en avant qui ne masque pas le doute qui s’installe dans la société israélienne, ni la souffrance des Gazaouis pris en étau entre un Hamas affaibli mais toujours actif, et le marteau de l’aviation israélienne.

Confronté à deux impératifs contradictoires — libérer les otages et punir le Hamas qui les détient — Israël peine à trouver la voie.

Pour Marianne, Shrouq Aila, journaliste habitante de Gaza City, Shimon K., réserviste envoyé à Gaza et Ayelet Samerano, mère d’un jeune homme assassiné et enlevé par le Hamas le 7-Octobre, se livrent sur l’avenir de cette guerre et leurs sentiments dans ce contexte.

« Je veux me réveiller le 6 octobre et sortir de ce cauchemar », Shrouq, gazaouie

Shrouq Aila est journaliste et productrice, habitante de Gaza. Elle a perdu son mari et sa maison dans un bombardement de l’armée israélienne deux semaines après le début de la guerre. Depuis, elle passe de logement en logement – sept fois en tout –, accompagnée de son fils de 2 ans et demi.

Quand Shrouq a lu que Tsahal comptait reconquérir la bande de Gaza et pousser la population vers le sud du territoire, elle n’a, simplement, rien ressenti. « Pour vous dire la vérité, mes émotions sont engourdies. Je suis en état de sidération. Je n’ai pas peur d’avoir encore à me déplacer là où l’armée nous enverra. Je m’inquiète de détails plus pratiques : comment vais-je trouver un toit, nourrir mon bébé, trouver une bonbonne de gaz malgré les prix rédhibitoires ? C’est comme si des choses plus importantes que la guerre elle-même occupaient mon esprit. »

Nous avons pu joindre Shrouq Aila par téléphone, une entrevue entrecoupée par un réseau défaillant et des coupures d’électricité. Aujourd’hui, elle vit sous une tente dans un camp de réfugiés situé en dehors de la zone rouge — la zone où Israël mène la guerre contre le Hamas et les autres factions islamistes — et dont la population a été évacuée. Une zone amenée à couvrir bientôt tout Gaza, sauf un territoire situé au sud de la bande.

« Ce à quoi mon esprit aspire, c’est de retourner dans le temps, le 6 octobre 2023, de me réveiller de ce cauchemar. »

Shrouq et son fils ont vécu sous une tente pendant six mois : « Les pires six mois de toute ma vie. Ces tentes ne protègent ni du soleil ni du froid. Nous dormions peu, il n’y avait aucune intimité, car nous vivions avec d’autres familles. Puis, nous avons eu la chance de pouvoir louer une maison, mais le loyer est extrêmement cher, car il reste peu de logements debout. »

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Elle ne peut pas imaginer le futur de Gaza, car elle ne sait même pas ce qu’il va se passer dans deux jours. « Mais j’espère que cela finira très rapidement. Ce à quoi mon esprit aspire, c’est de retourner dans le temps, le 6 octobre 2023, de me réveiller de ce cauchemar, de ne plus être entourée de la peur des bombes. »

« La stratégie de Tsahal est complètement inexistante », Shimon, militaire au sein de Tsahal

Dans le civil, Shimon K. est analyste en finance. Depuis le 7 octobre, il est retourné dans l’unité de son service militaire : l’unité Yaalom (Diamant), une unité spéciale du corps du génie militaire chargée, durant cette guerre, de neutraliser les centaines de tunnels creusés par le Hamas sous la bande de Gaza. Son point de vue reflète l’opinion d’une part significative des Israéliens : Israël ne sait plus faire la guerre.

Shimon a passé une grande partie de l’année et demie écoulée dans Gaza. Parfois sous terre, dans les tunnels creusés depuis plus de 15 ans par le Hamas pour mener des attaques contre Israël et se protéger de ses représailles. Ces tunnels ont présenté le principal défi de cette guerre pour Israël : leur complexité, combinée à la présence potentielle des otages, aurait eu, selon l’avis général, pour résultat la durée exceptionnelle de cette guerre dont personne ne voit le bout.

« On est un pays qui a su faire plier cinq armées ennemies en six jours, et on n’arrive pas à se dépêtrer de Gaza en un an et demi. »

Mais pour Shimon, la raison est toute autre : « La stratégie de Tsahal est complètement inexistante. » Comme de nombreux Israéliens, il constate que « des soldats tombent dans des zones déjà conquises par l’armée. Il y a deux semaines, deux soldats sont morts dans une zone où je me trouvais il y a quelques mois avec mon unité. Cela arrive fréquemment. L’armée mène une attaque, puis se retire, sans occuper la zone dont le Hamas a été chassé. »

C’est pour pallier cette incohérence que la nouvelle opération israélienne insiste « sur le contrôle durable du territoire ». Cette option supposerait le déploiement d’un nombre extensif de soldats, dont certains, fatigués d’un an et demi de guerre, rechignent parfois à répondre à l’appel.

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« Au lieu de faire durer cette guerre dans la longueur, tonne Shimon, il aurait fallu dès la première semaine tout fermer : l’eau, les vivres, les réseaux de télécommunications. Et tout conditionner à la libération des otages. » Shimon y voit la soumission du Premier ministre et de l’état-major à une Cour suprême dont les recommandations encadrent l’action de l’armée, et qui se montre trop frileuse vis-à-vis de l’opinion internationale.

Il fulmine : « On est un pays qui a su faire plier cinq armées ennemies en six jours [en 1967, contre l’Irak, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie et le Liban], et on n’arrive pas à se dépêtrer de Gaza en un an et demi. »

« On ne sait plus qui parle pour l’intérêt commun ou pour son intérêt propre », Ayelet mère d’un jeune homme assassiné par le Hamas

Le fils d’Ayelet Samerano, Yonathan, a été enlevé le 7 octobre alors qu’il fuyait le site du festival Nova avec un ami. Il a été assassiné au niveau du kibboutz Beeri. Sur une vidéo de surveillance du kibboutz, on voit une voiture de l’UNRWA s’arrêter, deux hommes en descendre et emporter son corps vers Gaza.

La nouvelle phase de la guerre à Gaza, qui s’annonce plus massive, laisse Ayelet perplexe : « En Israël, on ne sait plus à qui faire confiance. Après le temps de l’unité des débuts, les intrigues politiques ont repris. C’est devenu un théâtre d’ombres. »

Dix-neuf mois après le 7 octobre, « rien n’est plus simple, ce n’est pas une situation à laquelle on s’habitue », explique-t-elle, assise à une table sur la place des Otages à Tel-Aviv.

« Pendant que l’on perd du temps, mon fils est à une heure et demie de voiture d’ici, et je ne peux pas le voir »

« Il y a de plus en plus de questions. Au début, j’attendais, j’avais de l’espoir. Je me disais : l’armée, le gouvernement vont résoudre le problème. Nous avons vécu tellement de négociations, espérant que cette fois-ci ce serait notre fils qui serait libéré. J’ai un autre fils, et je n’ai pas les capacités de le soutenir, d’être une vraie mère pour lui, car cette situation nous harcèle chaque heure, chaque jour. Je parle au Bon Dieu, je parle à mon fils enlevé. Je ne demande qu’un signe du destin. Car personne ne me donne aucune information. »

Elle constate avec tristesse que le pays est en plein « balagan » (désordre, foutoir en hébreu). La société entière est impactée. « Après le 7 octobre, l’unité prévalait dans toutes les sphères du pays. Aujourd’hui, la petite politique a repris le dessus, et on ne sait plus qui parle pour l’intérêt commun ou pour son intérêt propre. »

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Le débat public en Israël est aujourd’hui saturé des controverses entourant le Premier ministre Benyamin Netanyahou. La gauche du pays l’accuse de céder à la frange extrémiste de sa coalition pour privilégier la chute du Hamas à la libération des otages, et éventuellement de recoloniser Gaza, tout en empêchant la tenue d’une enquête officielle sur les responsabilités du 7 octobre. Tandis que, sur son aile droite, Netanyahou est accusé de se soumettre au pouvoir de la Cour suprême, « inféodée aux idées du progressisme », et de mener une guerre molle et sans objectifs précis, afin d’éviter l’opprobre international.

« Et il est impossible de savoir qui a raison, qui a tort. Pendant que l’on perd du temps, mon fils est à une heure et demie de voiture d’ici [c’est la distance entre Tel-Aviv et Gaza – N.D.L.R.], et je ne peux pas le voir », confie la mère de famille.

Elle ne sait que penser de cette nouvelle attaque d’ampleur. « Je ne sais pas qui croire. Peut-être qu’il est juste de rentrer à nouveau et de se battre, car au fond, le Hamas a assassiné sauvagement des civils dans leur lit, en train de danser, a pris des otages, violé… Il est interdit de l’oublier, et de montrer au monde qu’un groupe terroriste peut faire sa loi. D’un autre côté, j’ai toujours l’espoir qu’une négociation pourrait mener à la libération des otages et de mon fils. »


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