Henri IV, Louis XI, Louis XIV… Pourquoi les rois de France inspirent autant nos politiques ?

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Henri IV, Louis XI, Louis XIV… Pourquoi les rois de France inspirent autant nos politiques ?




















François Bayou devant un portrait du roi de France Henri IV.
MEHDI FEDOUACH / AFP

Le retour du roi

Propos recueillis par

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La République a aboli la monarchie, mais ne cesse de convoquer ses fantômes. Bayrou invoque Henri IV, Mélenchon fait lire Louis XI aux jeunes insoumis, Macron s’inspire de Louis XIV. À croire que la République, faute de mythes neufs, puise son autorité dans l’ombre des rois. Analyse.

1793, la lame tombe sur Louis XVI, puis sur Marie-Antoinette, balayant d’un même geste les derniers restes de la monarchie séculaire. La République s’installe, vacille, se refonde, s’exporte, s’incarne dans un Empire, puis dans un autre, s’efface sous une restauration, se venge sous une Révolution socialiste en 1848, revient, s’effondre, renaît, s’impose enfin.

Deux siècles de République, de suffrage universel, de laïcité, de centralisation républicaine. Et pourtant, derrière le grand récit républicain, une silhouette ne cesse de rôder : celle des rois de France.

Des hommes providentiels

Ils hantent les discours, peuplent l’imaginaire politique, s’invitent dans les hommages des élus, inspirent les grandes figures de la République. François Bayrou fait revivre Henri IV dès sa nomination au poste de premier ministre, lui rendant un hommage inattendu. Jean-Luc Mélenchon revendique l’héritage de Louis XI et de Philippe le Bel, allant jusqu’à conseiller aux jeunes insoumis de lire la biographie de Louis XI par Paul Murray Kendall, convaincu que son modèle de gouvernance peut encore inspirer aujourd’hui. Le président Emmanuel Macron, quant à lui, assume explicitement les clins d’œil à Louis XIV… comme si les rois, longtemps effacés, s’imposaient à nouveau dans l’imaginaire politique. Pas par nostalgie de la monarchie : ceux qui les invoquent sont des républicains convaincus, parfois même viscéralement antimonarchistes, à l’image de Jean-Luc Mélenchon. Pourtant, ces figures disparues leur servent d’appui, de légitimité, voire de modèle. Pourquoi la République, née contre la royauté, continue-t-elle à puiser dans son héritage ?

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« Les rois servent aux hommes politiques de symboles facilement identifiables, au service de leur positionnement sur des questions de société. Ces récurrences sont souvent pleines d’anachronismes et réduisent des processus historiques complexes à une image simplifiée », explique à Marianne l’historienne Lana Martysheva, autrice d’une thèse sur Henri IV. « L’imaginaire politique s’est toujours nourri d’hommes providentiels. Ces modèles incarnent, d’une certaine manière la continuité de l’État, tout en s’enracinant dans une mémoire collective largement partagée qui constitue une sorte de musée de la “nation France” », abonde de son côté Joel Cornette, historien spécialiste de l’Ancien régime et de la monarchie.

Et de poursuivre : « Pour comprendre la puissance et l’actualité de cet imaginaire monarchique, il suffit d’évoquer le succès des Secrets d’histoire de Stéphane Bern, presque toujours centrés sur des rois, le plus souvent puissants : il est rarement question de la société globale et du peuple des paysans et des artisans qui constituent pourtant le socle social et économique de cette France monarchique. Les quatre rois dont se sont appropriés Bayrou, Mélenchon et Macron ont pour point commun d’avoir gouverné avec fermeté et contribué, chacun à sa manière, à construire l’État, un État fort, centralisé, situé au-dessus des partis et des forces de dissidence. »

Héritage de l’Ancien Régime

En effet, les révolutions renversent les régimes, mais elles n’effacent pas les structures. En France, la rupture de 1789 a fait tomber la tête du roi, mais elle n’a pas aboli l’idée d’un pouvoir fort, centralisé, incarné par un chef. Loin de détruire l’État monarchique, la Révolution l’a en réalité perfectionné. Joël Cornette rappelle ainsi que « la centralisation est la seule portion de la constitution de l’Ancien Régime qui ait survécu à la Révolution ». Les préfets de Napoléon ne sont que les héritiers des intendants de Louis XIV. L’administration, la justice, la fiscalité, tout a été rationalisé, consolidé, et souvent renforcé dans la lignée des réformes amorcées par les rois eux-mêmes. Une monarchie sans monarque, en somme.

Tocqueville, dans l’Ancien Régime et la Révolution, l’avait déjà souligné : l’État jacobin est l’héritier direct de l’absolutisme royal. La France, plus qu’aucune autre nation européenne, a construit son identité autour d’un État puissant, centralisé, garant de l’unité nationale. « L’ADN politique de la France, inscrit dans la longue durée, est bien un “tout à l’État”, jacobin et centralisateur », insiste Cornette auprès de Marianne. « C’est la raison pour laquelle la monarchie offre un réservoir quasi inépuisable de références et de modèles. »

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Cette filiation historique explique sans doute pourquoi les figures royales continuent de hanter l’imaginaire politique français. La République a beau revendiquer la souveraineté populaire, elle n’a jamais réussi à se débarrasser totalement de l’idée du chef providentiel. D’Henri IV à Louis XIV, ces rois sont invoqués non pas pour leur couronne, mais pour leur capacité à imposer un pouvoir fort, incontestable, qui transcende les clivages partisans. « Le point commun qui unit la politique et l’action de ces quatre souverains, Louis XI, Henri IV, Philippe Le Bel, Louis XIV, c’est la défense et l’illustration de la primauté de l’État », poursuit-il.

Continuité entre monarchie et République

Mais ce recours aux figures monarchiques ne trahit-il pas un vide plus profond ? Si les rois de France restent des références, c’est peut-être parce que la République, aujourd’hui, plus qu’hier probablement, peine à produire ses propres mythes. La Révolution, longtemps récit fondateur, s’est émiettée en lectures contradictoires. Le gaullisme, jadis récit fondateur, est devenu un étendard brandi par tous et vidé de sa substance. À force d’être revendiqué par tout le monde, il ne signifie plus grand-chose. Autre aspect, et comme le note Cornette, « les grands systèmes en “isme” qui fondaient le discours politique et l’espérance collective (communisme, socialisme…) se sont effondrés à la fin du XXe siècle. Ils n’ont pas été remplacés par un imaginaire capable de nous projeter dans un futur désirable ». Faute de grand récit républicain, le regard se tourne vers le passé.

Ce besoin d’incarnation, cette recherche d’une autorité forte, est particulièrement visible chez Macron. Son intronisation au Louvre en 2017, ses mises en scène calculées du pouvoir, jusqu’à son usage d’un vocabulaire parfois monarchique : tout témoigne d’un désir assumé d’inscrire son autorité dans la tradition d’un État régalien. « Louis XIV a excellé dans la mise en scène spectaculaire (Versailles) du pouvoir, ce qui ne pouvait que séduire Macron, qui utilise des codes visuels inspirés du Grand Roi », souligne Cornette.

Mais ce retour aux références monarchiques n’est pas sans ambiguïté. D’un côté, il rappelle la continuité historique entre la monarchie et la République ; de l’autre, il brouille la frontière entre deux systèmes politiques que tout oppose en théorie. En glorifiant la figure du roi, ne risque-t-on pas d’affaiblir le principe même de la souveraineté populaire ? « La référence a un côté vertueux », concède Cornette, « dans la mesure où l’histoire de France s’est construite à partir de l’État royal ». Mais il avertit aussi que ce tropisme pourrait « entretenir une conception du pouvoir vertical, au détriment d’une véritable culture démocratique ».

Tensions internes de la République

Ainsi, derrière ces clins d’œil à Louis XI, Henri IV ou Louis XIV, il ne s’agit pas seulement d’une fascination pour la grandeur passée. C’est un révélateur des tensions internes de la République elle-même. Un régime qui rejette le roi mais qui ne cesse d’en invoquer la figure, comme si la nostalgie de l’autorité et du grand récit national se conjuguait avec l’incapacité à penser un avenir politique autrement que dans l’ombre de son passé monarchique.

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Finalement, il est évident que ces références royales ne trahissent pas tant une nostalgie de la monarchie, en elle-même, qu’un besoin de figures tutélaires pour penser le pouvoir. La République, loin de s’en offusquer, les recycle, les adapte, les met en scène. Comme si, dans les arcanes de la politique française, le roi n’était jamais vraiment mort. « Je pense que la multiplication de références à des rois de France, comme aussi à Jeanne d’Arc, fait partie de la recherche de repères collectifs faciles pour appuyer la construction d’une certaine identité fantasmée des Français. Ce n’est pas grave en soi de se référer à des rois dans des débats publics (pourquoi pas ne pas s’intéresser aux processus de négociation dans le passé, par exemple ?), mais malheureusement ce sont surtout des simplifications et des amalgames », estime Lana Martysheva.

Les rois sont morts, mais leur fantôme hante encore les palais républicains. Mais jusqu’où peut-on invoquer leur figure sans trahir l’idéal démocratique que la République prétend incarner ?


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