©Géraldine Aresteanu
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Par Armelle Héliot
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Jouée pour la première fois en France, à Nanterre, près de Paris, la pièce de la dramaturge britannique Alice Birch, mise en scène par Christophe Rauck, fait se croiser trois générations de femmes dont les vies et les névroses se font écho.
Tout semble simple si l’on circonscrit le projet de la dramaturge et scénariste britannique Alice Birch, 38 ans : suivre une partie de la vie d’une mère, de sa fille, de sa petite-fille. Trois générations, saisies dans les années 1970, 1990 et 2000. Avec une thèse : on hérite des traumatismes, on est hanté par des faits qui nous ont précédés. Constellation familiale dominée par le désir de mourir, Anatomie d’un suicide est une pièce qui fait coexister les différents moments, qui, en réalité, se succèdent.
On voit bien la difficulté à représenter cette écriture. Déjà à la publier : en colonnes ! Puis à la mettre en scène. Une des meilleures traductrices de la langue anglaise, Séverine Magois, offre une version française qui respecte les résonances, les rencontres d’une génération à l’autre.
Fluidité des récits
Quant à Christophe Rauck, metteur en scène qui n’a jamais craint de relever des défis, il a réuni une distribution brillantissime et trouvé le moyen que l’on comprenne sans s’égarer. La « pièce » réunit 27 personnages : 10 hommes, 17 femmes. Un lieu auquel on revient, une maison et d’autres espaces, notamment hospitaliers. Alain Lagarde signe une scénographie très ouverte, complété par les lumières d’Olivier Odou. Musique, vidéo graphique, costumes, tout concourt à la fluidité des récits.
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Avec six comédiennes et quatre comédiens, Christophe Rauck nous précipite dans ces histoires rarement heureuses. Les trois protagonistes sont incarnées par des interprètes exceptionnelles : Audrey Bonnet est Carol, la grand-mère, Noémie Gantier, Anne, sa fille, Servane Ducorps, Bonnie, la petite-fille. Deux garçons ne jouent qu’un rôle : David Clavel, John, David Houri, Jamie. Tandis qu’Eric Challier et Mounir Margoum endossent quatre figures chacun, Sarah Karbasnikoff, six, Julie Pilod, cinq, et Lilea Le Borgne (que l’on connaît moins) est tous les enfants et les adolescentes à la fois.
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Autrement dit, il s’agit d’un déploiement rare de virtuosités. Avec des moments très forts, tels celui où surgit Anna, et l’autre encore, où elle est filmée, et où son visage est projeté en grand sur un écran. Des moments de puissante émotion, comme tout ce qui concerne Bonnie, car Servane Ducorps possède une humanité rayonnante et que Bonnie, héritière de tous ces traumatismes, nous paraît plus proche.
Sans doute est-on demeuré un spectateur happé par le désir de comprendre la construction, de comprendre les élans et les trucs d’Alice Birch, technicienne de l’écriture. On est plus porté par l’admiration que par l’émotion, pour le moment, car tout se joue musicalement, au soupir près. Mais au fil des jours, tout va se détendre. Et ce faisceau de talents immenses vaut assurément le voyage.
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Théâtre de Nanterre-Amandiers, 92 000 Nanterre (Hauts-de-Seine). Jusqu’au 19 avril. Puis 15 au 23 mai 2025 au Théâtre national populaire de Villeurbanne-Lyon. Printemps 2026 : la Comédie de Reims, la Comédie de Saint-Etienne, Théâtre national de Bretagne, l’Onde à Vélizy-Villacoublay.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne