Aujourd’hui, dans les services de soins critiques, près de 20% des erreurs liées à la pratique infirmière concerneraient les incompatibilités physico-chimiques médicamenteuses (IPC), selon la Société française de pharmacie clinique. Ces réactions indésirables surviennent lorsque plusieurs médicaments se mélangent avant d’atteindre le système sanguin. Un enjeu majeur, notamment pour les traitements injectables administrés par perfusion. Face à ce constat, DrugOptimal revendique un positionnement inédit : exploiter l’intelligence artificielle pour résoudre ces incompatibilités.
Fondée il y a deux ans, cette start-up iséroise de quatre salariés vient de clôturer une levée de fonds de 2,9 millions d’euros auprès d’un pool de business angels (dont Thierry Boisnon, ex-CEO de Nokia France, d’institutionnels et d’un family office).
Elle revendique être la première à commercialiser un tel outil sur son marché. Les pharmaciens et les professionnels de santé peuvent certes s’appuyer sur le Vidal ou sur la base de données internationale Stabilis, alimentée par l’association Infostab, mais l’ambition de DrugOptimal est d’aller au-delà, avec quelques milliers d’incompatibilités référencées.
L’IA pour multiplier les capacités de prédiction
Elle a développé un logiciel, alimenté par une IA permettant de prédire ces IPC à partir de l’analyse d’une ordonnance (scannée ou entrée manuellement) soumise le plus souvent par un(e) infirmier souhaitant valider le mode d’administration des traitements de son patient.
Pour l’heure, les algorithmes de DrugOptimal sont capables de se prononcer sur 100 000 paires de médicaments et plusieurs millions de combinaisons à 3 ou 4 produits. En cas de doute, pour les combinaisons non encore apprises, le logiciel préconise le principe de précaution et donc l’absence de contact entre les produits administrés. Lorsqu’une incompatibilité est détectée, un plan de perfusion est proposé par la solution.
« Dans les services de soins critiques, avec des patients branchés à des perfusions de 5/6 médicaments différents, – et parfois même plus-, il existe un nombre extrêmement important, se chiffrant en dizaines de millions, de combinaisons possibles de médicaments dont il faudrait connaître la compatibilité physico-chimique pour s’assurer d’une administration correcte, dans des délais courts puisque le traitement est souvent urgent dans ces services. Mais il est impossible d’avoir cette connaissance, l’IA est indispensable pour une meilleure couverture », explique Lugan Flacher, pharmacien de formation et cofondateur de l’entreprise.
DrugOptimal a nourri son IA en s’appuyant sur la littérature scientifique recensant les incompatibilités déjà identifiées. Cette base est complétée et démultipliée par les tests réalisés dans son laboratoire d’analyse. Elle a développé, et breveté, un équipement de mesure de paramètres physico-chimiques à haut débit, élément clé pour les prédictions de mélanges de trois médicaments et plus.
« Cette plateforme chimique analytique nous permet d’effectuer des analyses en 20 minutes, contre deux heures pour les meilleures solutions aujourd’hui existantes », précise Lugan Flacher, indiquant que cette performance doit permettre à la start-up de conserver une longueur d’attente sur d’éventuels entrants sur ce marché encore quasi vierge.
Avec cette levée de fonds, DrugOptimal devrait pouvoir avancer plus vite dans ses capacités de prédictions et la mesure de la fiabilité de ses prédictions. Ainsi, 40% doivent servir à la R&D. La start-up estime que sa solution permet d’intercepter aujourd’hui 100 à 400 IPC par mois, dans chacun des services équipés.
Une cible de 60 hôpitaux utilisateurs d’ici deux ans
Une partie importante de la levée de fonds sera par ailleurs dirigée vers le déploiement commercial. Aujourd’hui, cinq hôpitaux utilisent la technologie de DrugOptimal dont les CHU de Grenoble et Nantes ainsi que deux établissements des Hospices Civils de Lyon. Un test d’acceptabilité a été lancé auprès de six établissements de l’AP-HP (Assistance Publique-Hôpitaux de Paris). Une étude clinique vient par ailleurs d’être lancée sur sept établissements afin de mesurer le bénéfice économique et médical de la solution.
D’ici deux ans, DrugOptimal vise une soixantaine d’établissements clients, pour un chiffre d’affaires annuel récurrent d’un million d’euros. Une nouvelle levée de fonds, de 10 millions d’euros cette fois, est aussi envisagée pour 2027, avec un axe de déploiement international.