Faut-il revoir la façon dont les retraites sont revalorisées ? Alors que les partenaires sociaux se sont de nouveau réunis, jeudi dernier, pour le 9e round des négociations sur la réforme tant décriée, l’Insee s’est penché sur cette question dans une étude publiée ce mercredi. Avec, en toile de fond, l’hypothèse d’une fin de l’indexation des retraites sur l’inflation.
Une question récurrente depuis trois ans du fait de l’envolée de l’inflation et que s’était posée l’ancien Premier ministre Michel Barnier, à la recherche d’économies, sans pour autant s’y résoudre tant cette mesure serait impopulaire. Le sujet est d’autant plus sensible qu’il recouvre plusieurs enjeux. À commencer par un enjeu financier avec un déficit du système des retraites qui atteindra près de 15 milliards d’euros en 2035, et autour de 30 milliards d’euros en 2045, selon un rapport de la Cour des comptes. Sans compter le vieillissement de la population. Il soulève également un enjeu de niveau de vie pour les retraités et un risque d’inégalité entre ces derniers et les salariés.
Pour éclairer le débat, l’Insee a donc comparé différentes variantes d’indexation.
Comment fonctionne le système actuel ?
En vertu du Code de la Sécurité sociale, les retraites de base sont chaque année augmentées au 1er janvier car elles sont indexées sur la hausse des prix à la consommation (hors tabac) constatée par l’Insee pour l’année précédente. Autrement dit : elles sont revalorisées au même taux que l’inflation, sauf exceptions. Ce système permet d’éviter un décrochage du pouvoir d’achat des retraités.
Inconvénient néanmoins de cette méthode : « Elle rend les dépenses de retraite très sensibles à la croissance de la productivité », indique l’institut de statistiques, « ce qui génère un aléa sur la part des dépenses de retraite dans le PIB et sur le niveau de vie relatif futur des retraités. » Une productivité qui tourne certes au ralenti depuis la pandémie en France mais qui pourrait retrouver de la vigueur, selon un récent rapport du Conseil national de la productivité.
Ainsi, d’après ses projections, moins la croissance de la productivité sera élevée, plus la part du produit intérieur brut (PIB) consacrée aux dépenses de retraite augmentera. Exemple à l’appui : elle passerait de 12,5 % du PIB en 2023 à 13,9 % en 2070 avec une croissance de 0,4 %, contre 11,8 % à horizon 2070 avec une croissance de 1,3 %. « Cette sensibilité à la croissance nuit à la crédibilité des perspectives financières du système de retraite, élément essentiel du débat public », relève l’Insee. Dans le même temps, le poids de la pension des retraités dans le salaire moyen des actifs fluctuerait aussi fortement selon le niveau de croissance.
La Cour des comptes s’est aussi montrée critique contre la méthode d’indexation actuelle. Dans un rapport remis au gouvernement le 10 avril, elle estime que l’indexation des pensions sur l’inflation « n’apparaît pas le plus adapté pour assurer un équilibre durable du système des retraites ». Ses auteurs jugent qu’une « indexation sur les salaires favoriserait une meilleure équité intergénérationnelle ».
Une des options évoquées par plusieurs économistes serait de désindexer de l’inflation les plus hautes pensions afin de ne pas pénaliser les petites retraites. Si une telle solution permettrait de faire des économies, elle pose néanmoins des questions juridiques en matière d’égalité.
L’indexation sur les salaires
L’Insee a simulé les effets sur les dépenses de retraite et le niveau de vie relatif des retraités avec une indexation des pensions sur les salaires. Cela permettrait ainsi de réduire les écarts entre la population active et la population retraitée en cas de flambée des prix. Un scénario peu probable néanmoins — en zone euro sur les 25 dernières années, il n’a été observé qu’au moment de la guerre en Ukraine — l’objectif de la Banque centrale européenne (BCE) étant la stabilisation des prix avec une cible de 2 % d’inflation.
Inconvénient de cette méthode : la part du PIB consacrée aux dépenses de retraite serait encore plus élevée qu’avec l’indexation sur l’inflation. Elle grimperait progressivement jusqu’à atteindre près de 16 % en 2070, et ce, « sous l’effet de la dégradation du ratio cotisants/retraités, qui devrait passer de 1,7 en 2023 à 1,4 en 2070 ». Ce qui augmenterait davantage le poids de la pension des retraités dans le salaire moyen des actifs. Autrement dit : cette méthode d’indexation sur les salaires aggraverait la situation actuelle, selon l’Insee.
Des mécanismes de corrections
Un scénario qui pourrait toutefois être évité si des mécanismes de correction – correcteurs démographiques ou de stabilisation — sont intégrés « à la liquidation et tout au long de la retraite », précise l’Insee. Ce mode d’indexation permettrait ainsi de rendre les dépenses de retraite très peu sensibles à la croissance. Et, en parallèle, il permettrait une stabilisation à long terme de la part du PIB consacrée aux dépenses de retraite. « L’effet ne serait cependant pas immédiat », prévient l’Insee.
Un avis partagé par la Cour des comptes prenant pour exemples l’Italie et l’Allemagne. Ces pays « revalorisent les pensions en fonction de l’évolution des salaires en appliquant un facteur de soutenabilité » pour « ajuster » les retraites à la « capacité des actifs à les financer », peut-on lire dans le rapport de la juridiction financière.
Un impact sur les retraites à bas niveau
L’Insee s’est aussi penché sur l’impact des différents choix d’indexation sur la proportion de retraités à bas niveau de vie (ceux dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian de la population). Quelle que soit la méthode choisie, elle augmenterait. Mais de façon moindre, peu importe le niveau de croissance, avec une indexation sur les salaires… sans correcteurs. Preuve qu’aucune formule n’est pleinement positive.
À lire également
Agathe Perrier