Interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans : “Protéger nos enfants de l’emprise numérique est un devoir politique”

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Interdiction des réseaux sociaux avant 15 ans : “Protéger nos enfants de l’emprise numérique est un devoir politique”





















“L’usage intensif des écrans a aussi des effets préoccupants sur la santé”
Mathieu Thomasset / Hans Lucas via AFP

Tribune

Par Alexandre Lazarègue

Publié le

Alexandre Lazarègue, avocat spécialisé en droit du numérique, rebondit sur les propos de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal et du pédopsychiatre Marcel Rufo, qui voudraient voir l’accès aux réseaux sociaux interdits avant 15 ans. Selon lui, il s’agirait d’une mesure salutaire.

Alors que Gabriel Attal, ancien Premier ministre, et le pédopsychiatre Marcel Rufo appellent à interdire l’accès aux réseaux sociaux avant 15 ans et à instaurer un « couvre-feu numérique » pour les adolescents, les données scientifiques désormais disponibles sur les effets délétères des écrans confèrent à la régulation des plateformes une urgence politique impossible à éluder. De telles mesures s’inscriraient dans une politique éducative plus large, destinée à enrayer le déclin du niveau scolaire mis en lumière par les classements internationaux.

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Les recherches disponibles soulignent en effet l’urgence d’agir pour préserver le bien-être des enfants, tant sur le plan mental que physique, face à une utilisation excessive des écrans. Une telle démarche représenterait une véritable politique sociale alors que les premières victimes des effets dévastateurs des écrans sont les milieux défavorisés.

Une menace croissante pour la santé mentale et physique

Les réseaux sociaux, après être apparus comme un formidable outil de communication, se révèlent aujourd’hui être une menace pour la santé de nos enfants. Déjà en 2021 la lanceuse d’alerte Frances Haugens, chargé de la lutte contre désinformation chez Facebook avait dénoncé l’indifférence de son employeur à l’égard des dommages que provoquaient les réseaux sociaux sur les adolescents et ce, alors même que disposant de nombreuses études alarmantes à ce sujet, il en avait parfaitement conscience.

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Chaque parent a pu mesurer par lui-même la désolante fascination qu’exercent les écrans sur son enfant ou adolescent. Cette emprise n’est pas accidentelle : les réseaux sociaux relèvent d’une « économie de l’attention » par laquelle les algorithmes croisant les données personnelles de ses utilisateurs en leur présentant un flux continu de photos et de vidéos toujours plus séduisantes pour captiver leur intérêt, au service d’annonceurs capables de cibler les préférences les plus intimes.

L’usage intensif des écrans a aussi des effets préoccupants sur la santé. Outre les effets préjudiciables sur le sommeil – avec toutes les conséquences qu’un mauvais sommeil peut avoir, telles que l’obésité –, les ophtalmologistes alertent sur une explosion des cas de myopies. Cette affection très handicapante est directement liée à la surconsommation de contenus visuels sur smartphone.

Des risques de dérives numériques

De plus, les réseaux sociaux, à travers la diffusion de vidéos courtes, simplifient excessivement les informations au point d’alimenter des théories complotistes dont la propagation est encouragée, comme on le sait aujourd’hui, par les algorithmes. Cette pratique, répétée intensément, convainc et enracine les jeunes dans des certitudes antidémocratiques qui mettent en péril la capacité de notre République à former des citoyens critiques, capables de pensée rationnelle, à la recherche du bien commun.

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Aussi, et parallèlement aux efforts soutenus du gouvernement pour restreindre l’accès des mineurs à la pornographie dont l’efficacité peine encore à se faire ressentir, les réseaux sociaux représentent un autre front préoccupant. Les ingénieurs de la Silicon Valley, développent des algorithmes visant à favoriser la mise en avant de jeunes femmes peu vêtues, soulignant leurs attributs physiques.

Ces contenus à forte charge érotique captent l’attention des jeunes, entraînant des conséquences similaires à celles de la consommation de la pornographie : perte de confiance en soi, repli, addiction, dépression et développement de perceptions déformées des relations avec les femmes. Il faut également souligner une autre dérive propre aux réseaux sociaux : la diffusion virale de discours religieux ultra-conservateurs. Les réseaux sociaux transforment le religieux en produit algorithmique, favorisant les prêches dogmatiques déconnectés de toute profondeur spirituelle. Cette dynamique séduit une partie de notre jeunesse en manque de repères, encouragée à s’enfermer dans des schémas rigides qui anéantisse le discernement.

Une régulation nécessaire pour protéger la jeunesse

Dans ce contexte, une réglementation restreignant l’accès aux réseaux sociaux des mineurs se révèle essentielle pendant les années cruciales du développement intellectuel des jeunes. À cet égard, la Suède a été bien inspirée en interdisant l’usage des équipements numériques dans les écoles. Les jeunes maîtrisent naturellement l’utilisation des ordinateurs sans avoir besoin de formation spécifique dont le fonctionnement est parfaitement intuitif. Et si l’apprentissage des langages informatiques est indéniablement précieux à l’ère de la révolution numérique, il convient cependant de réhabiliter la place des livres imprimés pour l’apprentissage des « humanités ». L’adoption d’un « couvre-feu numérique », restreignant l’accès des mineurs aux réseaux sociaux intégrant de plages horaires flexibles adaptées à différents groupes d’âge représenterait donc une mesure significative.

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Une telle mesure impliquerait nécessairement l’interdiction pour les mineurs de créer des comptes sous pseudonyme auprès des plateformes mais cette démarche ne pourrait être que bénéfique pour lutter contre le cyberharcèlement, une autre menace sérieuse pour la jeunesse. La sensibilisation des parents à travers des notifications claires et systématiques sur les réseaux sociaux à l’instar des messages de santé publique existants sur la nutrition tel que « Restreindre le temps d’écran pour les enfants préserve leur santé mentale et leur épanouissement » est une autre piste à envisager. Les fournisseurs d’accès à Internet quant à eux devraient être en mesure de déployer des outils de contrôle parental avancés, offrant ainsi aux parents la capacité de réguler et de superviser efficacement l’accès de leurs enfants aux réseaux sociaux, tant à domicile qu’au sein des espaces publics d’accès à internet.

Il ne s’agit pas ici de jeter le discrédit sur de précieux outils de communication innovants et indispensables pour s’informer et échanger, mais de prendre la pleine mesure des conséquences d’un usage excessif et des puissances économiques qui les alimentent. En se rappelant des responsabilités que notre nation doit à sa jeunesse, nous pourrions ainsi répondre aux préoccupations exprimées par Jean-Jacques Rousseau : « L’enfance a ses manières de voir, de penser, de sentir qui lui sont propres ; rien n’est moins sensé que de vouloir les remplacer par les nôtres. »


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