Interdiction des signes religieux :”Si cette loi ne passe pas, le sport tombera… et avec lui, la loi de 1905″

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Interdiction des signes religieux :”Si cette loi ne passe pas, le sport tombera… et avec lui, la loi de 1905″





















L’attaquant canadien de Lille Jonathan David (à droite) et l’attaquant kosovar de Lille Edon Zhegrova (à gauche) prient à leur arrivée pour s’échauffer avant le match de football de L1 française entre Lille LOSC et Toulouse FC au Stade Pierre-Mauroy à Villeneuve-d’Ascq, dans le nord de la France, le 5 octobre 2024.
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L’Assemblée nationale va-t-elle mettre à l’ordre du jour la proposition de loi du sénateur LR Michel Savin pour l’interdiction du port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives ? C’est ce que réclament deux députés, Caroline Yadan (Ensemble pour la République) et Julien Odoul (Rassemblement national). État des lieux avec Médéric Chapitaux, sociologue et spécialiste de la radicalisation dans le sport.

Adopté en première lecture au Sénat le 18 février dernier et porté par le sénateur LR Michel Savin, un texte de loi propose entre autres d’interdire le port de signes religieux ostensibles dans les compétitions sportives. À la suite des conclusions tirées de leur mission flash portant sur « dérives communautaristes et islamistes dans le sport », Caroline Yadan (Ensemble pour la République) et Julien Odoul (Rassemblement national) ont appelé le 5 mars les députés à faire aboutir cette proposition de loi. La ministre des Sports, Marie Barsacq, a estimé mercredi que cette mesure n’était pas une « priorité » pour le gouvernement.

Une clarification juridique très attendue par les fédérations sportives, mais qui sera très certainement longue à faire accepter dans le milieu du sport en France. Sociologue spécialiste de la radicalisation dans le sport, Médéric Chapitaux livre son analyse à Marianne.

Marianne : La proposition de loi de Michel Savin vise à interdire le port des signes religieux dans les compétitions sportives. Le principe de neutralité va-t-il s’imposer dans le sport ?

Médéric Chapitaux : Il faut clarifier les choses. À mon sens, l’analyse journalistique et politique de ce texte est trop centrée sur le port du voile, qui pour moi n’est pas le problème en soi. L’enjeu, c’est de faire respecter le principe de neutralité dans le monde du sport, dont je suis un fervent défenseur, pour deux aspects. Le sport a un rôle éducatif, mais il y a une incohérence pédagogique entre ce qui se fait au sein de l’Éducation nationale et ce qui se passe sur les terrains. Nécessairement, ça va attaquer la liberté de conscience des uns et des autres. Mais ça n’est pas le seul espace public où cette liberté est restreinte. La décision du Conseil d’État sur le port du voile avec la robe d’avocat lors des audiences va dans le même sens. On estime qu’il y a des espaces où cette liberté ne peut pas s’afficher en raison des difficultés qu’elle peut poser.

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Et ces conflits existent. Dans des clubs de football, des équipes refusent de jouer avec d’autres équipes mixtes. Dans cette logique, si on n’impose pas la neutralité dans le champ du sport, on ne pourrait pas interdire non plus les joueurs et joueuses d’afficher sur leur tenue leur étiquette politique ou d’autres doctrines idéologiques diverses et variées. Dans le sport, surtout depuis les Jeux olympiques de Munich en 1972 – avec l’assassinat de onze sportifs israéliens par des terroristes palestiniens – le principe de neutralité s’est imposé. On ne mesure pas ce que ça va ouvrir comme possibilité à tous les champs politiques et idéologiques de s’afficher dans le champ de la pratique sportive. Est-ce qu’on est prêt à avoir des slogans du RN et de LFI sur les maillots ?

Le ministère des Sports ne dispose d’aucune estimation quantitative des atteintes à la laïcité. Pour autant, il estime que ses hypothèses sont basses : entre 25 et 130 associations sportives subissent des visées séparatistes et environ 500 clubs sont confrontés à des comportements communautaristes. Comment, dès lors, croire ces chiffres ?

Moi qui ait passé les dix dernières années de ma vie sur les terrains à étudier ces sujets, je peux vous l’affirmer, ces évaluations sont basses. Il n’y a pas que 25 clubs à visées séparatistes à l’échelle nationale, c’est ridicule. Rien qu’en Île-de-France, vous en avez plus de 25 qui posent de vraies difficultés.

Il suffit d’aller sur les compétitions sportives et de discuter avec les présidents de fédérations, celle de la lutte par exemple, qui est en grande difficulté et qui a failli perdre son agrément en décembre 2024. Dans une de ses enquêtes, l’Ifop a d’ailleurs montré que le premier lieu de l’Éducation nationale où la laïcité est contestée, c’est l’EPS (éducation physique et sportive). Et ce chiffre est en constante augmentation. Et il n’y aurait aucun problème sur les terrains ? Ça ne tient pas debout.

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C’est normal qu’il n’y ait pas de chiffres sur les atteintes à la neutralité, puisqu’il n’y a pas de loi. Et le ministère des Sports ne peut pas s’en plaindre, c’est lui qui tarde à légiférer. Une fois qu’on aura une loi, on pourra mesurer ces atteintes comme l’école a pu le faire quand la loi de 2004 a été adoptée.

Comment expliquer que certaines fédérations soient plus souples que d’autres sur le port des signes religieux ?

Ce n’est pas leur rôle, mais bien celui du ministère des Sports de clarifier le débat. Les fédérations ont toutes demandé au ministère de statuer. Mais face à cette proposition de loi, qui est pourtant portée par le gouvernement, la ministre des Sports recule. En attendant, les fédérations font ce qu’elles peuvent avec ce qu’elles ont, c’est-à-dire les règlements sportifs… tout ça parce que le ministère ne se positionne pas. La seule fédération arc-boutée sur l’autorisation des signes religieux, c’est celle de handball. Libre à elle ! Mais elle est d’ores et déjà confrontée à des difficultés. En réalité, tout le monde a peur de se positionner sur un sujet qui est beaucoup plus large qu’un « simple » port de voile. Résultat des courses : ce sont les arbitres, et tous ceux dont on ne parle pas, qui doivent gérer ces problèmes au quotidien. Et ça devient une souffrance pour eux.

Pourquoi ? Qu’est-ce qui leur fait peur ?

Dans le sport, il y a une idéologie qui est très forte : c’est grâce au sport qu’on accueille et qu’on intègre les gens. Le sport n’a pas la culture de la sanction. On ne sait pas sanctionner, car on estime que c’est déjà avoir échoué. Mais alors, se mettent en place des systèmes concurrentiels et en roue libre. Dans certains clubs, on ne parle plus du tout des valeurs de la République. Quand vous lisez que des jeunes femmes sont exclues car elles refusent de porter le voile, ça inquiète. Le président de la fédération de basket a reçu des menaces de 60 clubs quand il s’est positionné contre le port du voile pour les licenciés.

La liberté de conscience et le principe de neutralité sont-ils irréconciliables ?

La loi de 1905 est un principe fondamental. Depuis 2017, tous les ministres des Sports ont une vision à l’anglo-saxonne, ce qui n’était pas le cas avant. Là-bas, c’est un système privé, où tout le monde paye pour faire du sport. Mais en France, les ministres successifs sont incapables de légiférer et de l’afficher ouvertement. On veut un modèle sportif à l’anglo-saxonne, sans en accepter les contraintes. Depuis 2017, on est dans une politique du « en même temps » qui est source de conflits.

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À partir du moment où l’État est présent, il y a des règles à respecter. On ne peut pas tout avoir. Le meilleur moyen de faire bouger les lignes en France, c’est de « taper » sur le sport. Au moment où la digue va céder sur la neutralité dans le monde du sport, la réciprocité sera demandée en face par d’autres fonctionnaires de la République. Si on l’autorise dans le sport, pourquoi les fonctionnaires de l’hôpital ou de l’école ne pourraient pas eux aussi porter une croix, une kippa ou un voile ? Je fais l’hypothèse que si cette loi ne passe pas, le fonctionnement du sport tombera et fera tomber la loi de 1905. Ce n’est pas être défaitiste, c’est mécanique.


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