Jean-Luc Veyssy : “Les équipes doivent arrêter de penser qu’elles peuvent toutes gagner la Ligue des champions”

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/cebHRSVveR/ass2oaQHJB3SznXZJ/ass2oaQHJB3SznXZJ.jpg









Jean-Luc Veyssy : “Les équipes doivent arrêter de penser qu’elles peuvent toutes gagner la Ligue des champions”





















L’attaquant Ousmane Dembele va affronter, avec le PSG, l’Inter Milan en finale de Ligue des champions
FRANCK FIFE / AFP or licensors

Entretien

Propos recueillis par

Publié le

Directeur des Éditions du Bord de l’eau et ancien président d’un club de football amateur, Jean-Luc Veyssy publie, avec quatre autres auteurs, « Un autre foot est possible » (Bord de l’eau).

Ce samedi 31 à Munich, le Paris Saint-Germain et l’Inter Milan s’affronteront pour remporter la coupe d’Europe la plus prestigieuse : la Ligue des champions. Un événement majeur pour tous les fans de ballon rond, et même au-delà. Trente-deux ans après l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie, un autre club français réussira-t-il à remporter la coupe aux grandes oreilles ?

À LIRE AUSSI : DAZN et droits TV : le foot français est sur le point de s’effondrer… et c’est peut-être une bonne nouvelle

Dans Un autre foot est possible (Bord de l’eau), Jean-Luc Veyssy défend que dans le foot hyper-capitaliste moderne, dominé par quelques grands clubs européens, il est vain pour le plus grand nombre d’espérer atteindre les premières places. Au contraire, la compétition effrénée et la logique de l’argent nuisent au spectacle.

Marianne : La finale de la Ligue des champions va voir s’opposer le PSG et l’Inter Milan. La première équipe n’a jamais remporté la compétition, la seconde, « seulement » trois fois. Est-ce la preuve que le foot européen n’est finalement pas dominé par un oligopole ?

Jean-Luc Veyssy : C’est le paradoxe du foot : malgré tout, de temps en temps, il y a une incertitude. Mais statistiquement, aujourd’hui, pour gagner la Ligue des champions, il faut avoir un budget important. Et de ce point de vue là, malgré tout, le PSG fait partie de ceux qui n’ont pas de problèmes de fin de mois. S’agissant de l’Inter, c’est sans doute un peu moins évident. Il y a une vraie réflexion tactique, un staff qui est très aguerri, avec Inzaghi à sa tête. C’est sa deuxième finale en trois ans, ils avaient perdu de peu contre le City de Guardiola en pleine possession de ses moyens.

Mais malgré tout, c’est peut-être le pied de nez du foot, de temps en temps, le « petit » gagne contre le gros. Mais là, ce sont deux gros gros petits. Encore que le PSG, c’est un gros financièrement sans palmarès international.

Paris est néanmoins arrivé en finale après avoir vu partir Messi, Neymar et Mbappé, ses trois plus grosses stars, et avec un effectif moins « bling-bling »…

Parce que le foot reste un sport collectif. J’ai été président d’un club amateur dont le slogan était : « Mon plus beau but est une passe », inspiré d’une phrase d’Éric Cantona. Le PSG démontre, grâce au travail de son entraîneur Luis Enrique, qu’il faut d’abord une vraie démarche collective, une adhésion absolue, et qu’il ne suffit pas d’entasser de très grands joueurs évidemment, qui ont de superbes statistiques – puisque maintenant ce sport est dominé par les datas.

À LIRE AUSSI : Jérôme Latta : “Le foot est devenu un spectacle de luxe, mis en scène comme une superproduction”

En deux questions on vient de rappeler les fondamentaux. D’abord, pour gagner la Ligue des Champions, il faut avoir un grand budget. Ensuite, et ce n’est pas accessoire, il faut avoir aussi une équipe. L’équipe qui déroge à cette règle, c’est le Real Madrid qui a gagné pendant des années beaucoup de Ligue des champions, porté par des grands joueurs, mais sans vrai collectif. Mais là, l’Inter, a une vraie philosophie, celle de la contre-attaque, Inzaghi aime bien jouer avec cinq défenseurs. Et du côté du PSG, il y a le jeu de possession, l’école historique espagnole et barcelonaise, à la sauce de Luis Enrique.

Ces deux équipes font partie de celles qui courent le plus, notamment les milieux de terrain du PSG. Les deux Portugais, Neves et Vitinha, sont remarquables de ce point de vue. Mais encore une fois, c’est la démonstration que le collectif peut vous mener loin. Et il y a toujours des aléas qui font que la victoire n’est jamais acquise avant d’avoir joué le match.

Finalement, le spectacle et le suspens semblent encore au rendez-vous comme le montre cette dernière Ligue des champions où nous avons vu des exploits de Lille et Brest. Pourquoi incriminer le néolibéralisme ?

Ce sont des exemples extraordinaires. Et encore, même là, il s’agit de petits gros. Mais pour remporter la Ligue des champions, il faut des budgets colossaux, et c’est pire depuis l’arrêt Bosman. Les grands championnats dominent largement. Le grand championnat qui a un pouvoir financier phénoménal, c’est le championnat anglais. Ensuite, les championnats espagnol, avec Barcelone et les deux clubs de Madrid, allemand et italien résistent.

À LIRE AUSSI : “Aulas peut être considéré comme le dernier grand président du foot français”

Mais ni Brest ni Lille, pour parler d’équipes françaises, ne gagneront la Ligue des champions. Si le PSG le peut, c’est parce qu’il est adossé à un État, qui peut investir à fonds perdu. Mais cela ne masque pas la réalité aujourd’hui du football français qui, année après année, est déficitaire de plus d’un milliard avant de procéder aux ventes de joueurs. En faisant cela, il alimente, certes, la machine du néolibéralisme, mais s’appauvrit. Lyon est dans une situation quasi-désespérée. Brest, cette année, a été sauvé financièrement par sa belle campagne en Ligue des champions. Enfin, nous ne verrons pas demain un club norvégien remporter une Coupe d’Europe. Seules certaines équipes des grands championnats le peuvent.

Des évolutions techniques comme la VAR (arbitrage vidéo) participent-elles à affadir le spectacle ?

Je ne crois pas. Comme l’explique Stéphane Beaud dans le livre, l’un des problèmes est qu’il faut actuellement gagner à tout prix. Seule la victoire est belle, ce qui rend légitime les fautes tactiques. Si la VAR allait au bout des choses, lors des coups de pied arrêtés, je pense qu’il y aurait deux ou trois pénaltys par match. Mais nous avons accepté l’idée, et c’est sans doute une évolution culturelle, venue d’Italie, durant les années 1980, qu’il fallait faire des fautes en défendant.

Le grand problème du foot actuellement, c’est la glorification de l’anti-jeu, de la faute tactique et de la simulation. À chaque faute, on a l’impression qu’il y a une faute très grave. Le foot n’est plus une façon encore d’inclure, de partager. La VAR n’a pas changé l’esprit du jeu.

Dans le livre, vous dites que les supporters sont dépossédés de leur club et parlez d’un « peuple sans droit ». Pouvez-vous développer ?

Ce sont des alliés objectifs des grands groupes et de leur propre servitude. Prenons l’exemple bordelais (club au gros palmarès rétrogradé financièrement en quatrième division – N.D.L.R.). L’ancien propriétaire, M6 est parti quasiment comme un voleur et a vendu le club à deux aigrefins, DaGrosa et Varela, adossés à des fonds d’investissement. Quand il s’est avéré que ces gens-là n’avaient pas un sou, les supporters se sont alliés à l’homme providentiel, Gérard Lopez, qui venait de se faire virer du conseil d’administration de Lille. Ils ont fait pression pour lui. C’était au moment des élections municipales, etc.

Mais en réalité, qu’est-ce qu’on leur demande à ces gens-là ? De venir dans les tribunes, de hurler, de mettre quelques banderoles. Et quand ils mettent quelques banderoles politiques, on les criminalise. Ils n’ont cependant aucun droit. Ils n’entrent pas dans la gouvernance des clubs. C’est vraiment l’allégorie du peuple sans droit. Il y aurait peut-être une alternative, avec le modèle coopératif, comme celui de Bastia ou du centre de formation de Sochaux

Justement, en quoi transformer les clubs en coopératives serait une solution ?

Pour poser la question du modèle économique, il faut partir d’un constat : il n’y a qu’un club qui gagne la Ligue des Champions. Si vous allez dans n’importe quel club de National 2 (quatrième division – N.D.L.R.), le président va vous dire : « Dans 10 ans, on va monter, etc. » Mais quelle est la vocation d’un club ? Ce n’est pas de remporter une coupe d’Europe mais d’être un animateur de territoire, un créateur de liens, etc. Certes, cela n’empêche pas l’ambition.

Regardez Louhans-Cuiseaux, par exemple. Le club va sans doute disparaître, dans les prochains jours, de la carte du foot français. Pendant très longtemps, ils étaient en Division 2, ils ont même effleuré la Division 1. Leur centre de formation a sorti quelques bons joueurs de première division. Mais quelle est la vocation d’un club qui réunit deux villes qui font moins de 10 000 habitants ? Est-ce qu’il faut absolument monter en Ligue 1 ? Quand je parle de gagner la Ligue des Champions, c’est ce que je veux dire. Est-ce qu’il ne vaut mieux pas se mettre à la taille de son territoire, irriguer son territoire, comme cherche un peu à le faire Bastia ?

À LIRE AUSSI : Échec du projet de Super Ligue : “Retrouvons un football à échelle et à taille humaine”

Prenons Bordeaux. Savez-vous qu’en moyenne, entre 25 et 35 gamins de la Nouvelle-Aquitaine signent dans des clubs pros chaque année ? Aucun, à la grande époque des Girondins, ne signait au club. Il y a un vrai problème. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut reproduire le modèle de l’Athletic Bilbao, où il faut être basque ou d’origine basque pour jouer. Mais il y a un équilibre à trouver. Un autre exemple : Bergerac, en National 2, a changé de gouvernance récemment. M. Fouvel, qui est un de mes amis, a laissé la direction à un jeune entrepreneur. Aujourd’hui, ils sont exclus des compétitions nationales, avec une dette de 300 000 euros. Il y a deux mois, l’actuel président prétendait qu’il allait faire du trading, en vendant des joueurs, comme s’il était à la tête d’Arsenal, Manchester United ou Liverpool. Chez beaucoup de dirigeants, « l’argent » est là pour supplanter la médiocrité des projets. Quand il n’y a plus d’argent, il ne reste que la médiocrité.

***

Un autre foot est possible, Stéphane Beaud, Timothée Duverger, Vincent Mourgues, Jérôme Saddier et Jean-Luc Veyssy, Bord de l’eau, 72 p., 8 €


Nos abonnés aiment

Plus d’Agora

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest
0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?
0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x