Jean-Michel Djian : “Incarnation de l’esprit français, visionnaire… La voix d’Ernest Renan doit être réécoutée”

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Jean-Michel Djian : “Incarnation de l’esprit français, visionnaire… La voix d’Ernest Renan doit être réécoutée”





















Ernest Renan, dessiné par Anders Zorn, en 1892.
ARTOKOLORO / QUINT LOX / ARTOKOLORO QUINT LOX / AURIMAGES VIA AFP

Entretien

Propos recueillis par

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Le journaliste Jean-Michel Djian fait paraître « Ernest Renan, le géant oublié » (Le Cherche-Midi), une biographie d’Ernest Renan, un portrait brillant de cet immense écrivain et penseur qui a marqué son époque. Entretien.

Marianne : Comment avez-vous rencontré Ernest Renan ?

Jean-Michel Djian : Je suis né à Saint-Brieuc, à soixante kilomètres de Tréguier, sa ville natale. Son fantôme était partout : des rues à son nom, sa maison natale transformée en musée… Mais quand je demandais autour de moi qui il était, on ne savait plus très bien. Cette ombre portée sur mon adolescence m’a suivi. J’ai lu La Vie de Jésus, son livre le plus connu, dans une vieille édition, et son ton m’a énormément séduit. Dans les années 1980, j’ai senti que ses interrogations sur la société, sa confrontation avec la science, redevenaient d’actualité. Le philosophe chrétien Jean Guitton, des spécialistes de son temps à la Sorbonne se sont mis à reparler de lui.

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De son vivant, était-il extrêmement populaire ?

À un point qu’on n’imagine plus aujourd’hui. La Vie de Jésus s’est vendue à 430 000 exemplaires, chiffre énorme, beaucoup plus important que celui des Misérables, par exemple, qui avait à peine atteint les 100 000 exemplaires. Sur les photos de ses funérailles, en 1892, les trottoirs sont noirs de monde.

« Ernest Renan a payé le prix de sa complexité »

Il a surtout été reconnu après la guerre de 1870, quand il a publié La réforme intellectuelle et morale, livre dans lequel il annonçait déjà la séparation de l’Église et de l’État et mettait en avant les prémisses de la République. Il était très en avance sur son temps et avait un statut de savant reconnu et touchant à beaucoup de sujets divers. Un peu ce qu’est aujourd’hui un Edgar Morin (qui préface le livre, N.D.L.R.).

Ses propos sont donc toujours actuels…

Complètement. Il était par exemple pour la démocratie mais contre le suffrage universel, estimant qu’il ne serait possible que quand l’école aurait fait son travail, c’est-à-dire que chacun pourrait juger en toute connaissance de cause. C’était visionnaire : ce qui se passe aux États-Unis le prouve aujourd’hui.

Et sa définition de la nation ?

C’est un autre de ses textes fondateurs, sa conférence Qu’est-ce qu’une nation ? Il y définit la nation comme l’alliance d’un passé commun et d’une volonté de rester ensemble et de faire fructifier cet héritage. Il est loin de toute notion de race. Ce texte est l’un de ceux qui ont ouvert la voie à la création de la Société des Nations. Là encore, comment ne pas voir son actualité ?

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Que s’est-il passé pour qu’il perde ainsi cette aura ?

Je crois qu’il a payé le prix de sa complexité et que l’extrême droite catholique l’a « flingué ». Maurice Barrés (1862-1923), Charles Maurras (1868-1952) l’ont traité d’« apostat » car il avait dit de Jésus que c’était « un homme remarquable ». En se penchant sur l’humanité du Christ plutôt que sur sa divinité, en faisant œuvre d’historien plus que de théologien, en niant les miracles, en rendant sa part à la légende, il a suscité d’incroyables controverses.

Le Vatican aussi a été impitoyable : le dogme de l’infaillibilité papale a été créé en réponse à son travail scientifique, et le pape Pie IX (1792-1878) l’a traité de « blasphémateur européen ». Victor Duruy (1811-1894), ministre de l’instruction publique, lui a retiré sa chaire au Collège de France.

Peut-on le rapprocher d’autres intellectuels extrêmement populaires à leur époque et tombés dans un relatif oubli : Anatole France, André Gide, voire Jean-Paul Sartre ?

Sans doute. Anatole France (1844-1924) était même une sorte de fils spirituel. Romain Rolland (1866-1915), lui aussi très oublié, l’admirait énormément. Je ne vois en tout cas aucun intellectuel aujourd’hui, même médiatique (Lévy, Onfray) dont l’influence puisse être comparée à la sienne.

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Vous avez choisi de le traiter en 200 pages enlevées au lieu de vous colleter à une de ces biographies « définitives » à la Jean Lacouture. Pourquoi ?

Je ne suis pas un universitaire mais un journaliste. Le rôle que je souhaite, c’est celui d’entremetteur. Ce que je veux, c’est transmettre une envie et que mon lecteur, après avoir refermé mon livre, souhaite aller lire Renan.

« Mon parti pris, ça a été d’essayer de comprendre comment ce géant qu’était Renan avait pu ainsi disparaître. »

Pour créer cette envie, il faut que j’écrive un livre qui puisse y répondre, et soit dans l’air du temps. Et cet air du temps me semble être celui d’un essai court et qui repose sur un parti pris. Mon parti pris, ça a été d’essayer de comprendre comment ce géant qu’était Renan avait pu ainsi disparaître.

Va-t-il être réévalué ?

Je le crois. Il l’est même, par l’extrême droite, à qui il reste opposé sur des questions comme la laïcité. Il y a eu très récemment un long article sur lui dans Valeurs Actuelles… Renan est rendu à sa dimension de savant. Pour lui, la science est le seul moyen de sortir du surnaturel. À l’heure où, là encore, l’on voit les attaques de l’administration Trump contre elle, sa voix doit être réécoutée. Il reste une incarnation de l’esprit français.

***


Ernest Renan, le géant oublié, de Jean-Michel Djian, Le Cherche-Midi, 208 p., 17,90 €.


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