“La France doit enfin reconnaître que les infirmiers sont essentiels à la nation”

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“La France doit enfin reconnaître que les infirmiers sont essentiels à la nation”

























Des infirmiers libéraux manifestent devant la Caisse primaire d’assurance maladie de Clermont-Ferrand, à l’appel du collectif des infirmiers libres en colère (CILEC)
Adrien Fillon / HANS LUCAS

Tribune

Par Isabelle Fromantin
, Florence Canoui-Poitrine
et Grégory Caumes

Publié le

Ce 10 mars 2025 en soirée, l’Assemblée nationale a voté à l’unanimité une proposition de loi visant à « reconnaître les missions des infirmiers et l’évolution de leurs compétences ». En attendant l’adoption par le Sénat, Isabelle Fromantin, infirmière à l’Institut Curie, Florence Canoui-Poitrine, docteure en médecine, et Gregory Caumes, juriste et expert en politiques de santé, expliquent pourquoi ce texte est fondamental.

Cela fait plus de 20 ans que cette réforme était attendue par une profession forte de 640 000 personnes. Il aura fallu une pandémie mondiale, une crise d’accès aux soins sans précédent et une profession à bout de souffle pour enfin déclencher une des réformes en santé les plus ambitieuses de ces dernières décennies. La reconnaissance de la profession infirmière semble à portée de main mais pourrait redevenir chimère dans quelques semaines. C’est au Sénat qu’il reviendra d’en décider, le 5 mai prochain. Cette institution, aujourd’hui source de stabilité dans notre république fragmentée, a souvent été frileuse sur la reconnaissance de la profession infirmière.

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Alors que les débats à l’Assemblée nationale ont été centrés sur le fait de ne pas trop déplaire à certains syndicats de médecins libéraux, laissant presque le sujet infirmier de côté ; il serait vital pour une profession qui n’a même pas de nom juridique – ils sont juste auxiliaires médicaux comme d’autres professionnels – d’avoir une institution telle que le Sénat qui acte vraiment ces journées de débat comme des journées dédiées au corps infirmier. Le philosophe Axel Honneth déclarait : « Sans la reconnaissance, l’individu ne peut se penser en sujet de sa propre vie. » Le temps de la reconnaissance infirmière doit se faire au Sénat.

Un texte fort

La proposition de loi co-portée par les députés Nicole Dubré-Cirat et Frédéric Valletoux actait déjà une reconnaissance législative de la consultation infirmière, du diagnostic infirmier et d’un droit de prescription élargi. Elle venait aussi sanctuariser plusieurs missions infirmières. Le passage à l’Assemblée nationale est venu rajouter par amendement un point essentiel pour l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire : l’accès direct aux infirmiers pour les soins de premier recours. Une disposition qui fait peur, alors qu’il s’agit de mieux prévenir notamment la perte d’autonomie et d’amorcer plus rapidement des soins, d’orienter dans le champ des compétences infirmières. C’est une dérogation au principe de « médecin traitant porte d’entrée » permettant aux infirmiers de prendre en charge des patients et de déployer leur rôle propre dans le cadre du premier recours.

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Comme le rappelle France Assos Santé, 7 millions d’usagers n’ont pas de médecin traitant (soit 11 % de la population) et se voient donc privés de facto d’accès aux soins infirmiers. L’idée n’est donc pas de substituer le médecin par l’infirmier, mais que l’infirmier puisse intervenir précocement et faire son travail, permettant ainsi au médecin de faire le sien plus efficacement. Clairement cet amendement changera la vie de nombreux patients et aidants.

Mais tout cela ne se fit pas sans difficulté, un certain nombre d’amendements furent déposés pour vider la loi de sa substance mais ils furent repoussés. Et finalement, alors que notre société, et nos représentants politiques, sont de plus en plus fragmentés et opposés, une loi encore plus ambitieuse que le texte initial fut votée à l’unanimité démontrant que sur le sujet de la reconnaissance infirmière et de l’accès aux soins, notre société pouvait retrouver une unité réelle et précieuse.

Un périlleux passage au Sénat

Défenseur des territoires, les sénatrices et les sénateurs sont bien conscients du besoin de reconnaissance de la profession infirmière et des disparités d’accès aux soins. Pourtant cette instance a parfois montré des réticences sur les évolutions des professions de santé (loi Rist 2).

Il faut donc espérer que le Sénat fera le choix des patients et de leur accès aux soins en conservant la consultation infirmière, la prescription et l’accès direct aux infirmiers en premier recours, que ce soit à l’hôpital ou en ville.

N’oublions pas que les consultations infirmières sont implantées depuis longtemps dans des structures telles que les Centres de Lutte Contre le Cancer, en dépit de l’absence de valorisation, afin d’améliorer la qualité des parcours de soins. Certaines disciplines comme celle du traitement des plaies reçoivent des patients extérieurs pour des avis sur des plaies chroniques et le succès de ces consultations infirmières démontre à lui seul son intérêt.

L’adoption de cette loi fera réparation et progrès

Nous savons par contre le Sénat très attaché à l’excellence des pratiques et nous espérons le voir travailler sur les sujets suivants :

– La reconnaissance d’expertises infirmières par l’octroi de compétences et connaissances spécifiques, telles que les infirmières perfusionnistes, de recherche clinique (IRC), de plaies et cicatrisation ou du traitement de la douleur ;

– la reconnaissance en pratique avancée des spécialités, notamment les IADES (infirmières anesthésistes) ;

– l’inscription de la responsabilité populationnelle dans la pratique infirmière ;

– l’obligation d’un travail mixte recherche et pratique clinique pour les infirmiers universitaires, car la pratique reste primordiale pour soutenir le sens et l’action de recherche ;

– la gradation des soins entre professionnels de santé.

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Il ne suffit plus de s’apitoyer face au manque d’infirmières et d’infirmiers à l’hôpital ou dans les territoires. Les sénateurs Jean Sol et Anne-Sophie Romagny, qui ont été nommés rapporteurs de cette proposition de loi, ont ce lourd travail à accomplir, nous avons confiance en eux.

Il est important de rappeler par une citation de Virginia Henderson à quel point l’infirmière et l’infirmier sont à chaque instant le soutien essentiel des patients, de ceux qui souffrent, de ceux qui sont mis de côté : « L’infirmière est temporairement la conscience de l’inconscient, la joie de vivre du suicidaire, la jambe de l’amputé, les yeux du nouvel aveugle, un moyen de locomotion pour le nouveau-né, un savoir et une confiance pour la jeune maman, une voix pour ceux qui sont trop faibles pour parler. »


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