Dans les prochains mois, la France lancera une réforme historique de son système juridique, renforçant pour la première fois en 14 ans ses lois sur l’arbitrage.
En septembre dernier, le gouvernement a nommé une commission nouvellement constituée pour examiner le système actuel et proposer des réformes visant à améliorer l’efficacité et à attirer des parties étrangères vers la juridiction française.
Mais l’arbitrage international est-il toujours la meilleure solution ? L’histoire récente suggère le contraire.
La Malaisie, par exemple, a énormément souffert d’un système arbitral mal préparé à gérer son litige datant de l’époque coloniale avec les descendants d’un ancien clan philippin.
L’affaire remonte à 2018, lorsque les héritiers du Sultanat de Sulu se sont tournés vers les tribunaux espagnols pour engager une procédure d’arbitrage contre la Malaisie. Conseillés par leurs avocats britanniques, ils ont affirmé avoir droit à une compensation pour l’exploitation des ressources dans la région nord-est de Sabah, en Malaisie.
Leur revendication reposait sur un ancien traité colonial, antérieur à l’existence même de la Malaisie en tant qu’État souverain indépendant. Signé en 1878, ce traité prévoyait essentiellement que le Sultan de Sulu céderait la région de Sabah aux colons britanniques en échange d’environ 5 000 dollars malais par an.
Ce document désuet a été présenté par les avocats des plaignants comme un contrat de bail commercial privé, encore valide selon le droit contemporain. Pourtant, les archives historiques montrent clairement que l’accord était surtout un instrument de stratégie coloniale britannique. Le Sultanat de Sulu n’a jamais détenu aucun droit souverain sur le territoire et ne possédait donc pas l’autorité légale nécessaire pour céder des droits territoriaux.
Cependant, les avocats des Sulus ont poursuivi leur action, encouragés par un financement opaque provenant d’un tiers investisseur, susceptible de tirer profit d’une victoire des Sulus et souhaitant générer des rendements astronomiques pour ses propres investisseurs institutionnels non divulgués.
Le tribunal espagnol avait désigné un arbitre avant de découvrir une grave erreur procédurale l’obligeant à révoquer cette désignation et à ordonner l’abandon de l’affaire.
En défi ouvert au tribunal, l’arbitre a transféré le dossier à Paris, où il a ordonné à la Malaisie de payer aux héritiers de Sulu la somme astronomique de 15 milliards de dollars de compensation. Cet arbitre a par la suite été condamné dans son propre pays pour avoir ignoré la révocation de sa désignation par le tribunal et pour avoir déplacé le siège de l’arbitrage ailleurs.
Malgré cette condamnation, la sentence arbitrale demeure en suspens, et la Malaisie continue de la contester.
Au fil des ans, l’affaire a été examinée par divers tribunaux européens, l’Espagne, la France et les Pays-Bas ayant chacun rendu des décisions en faveur de la Malaisie. Mais après chaque revers, les avocats des Sulus et leurs riches bailleurs de fonds ont contre-attaqué avec des stratégies de plus en plus imprévisibles. Une action particulièrement marquante a été l’introduction d’un procès spéculatif de 18 milliards de dollars contre l’Espagne, pour prétendue « dénégation de justice », en raison de la décision du tribunal espagnol d’avoir respecté les procédures et révoqué l’arbitre, puis de l’avoir condamné pour désobéissance.
En novembre 2024, la Cour de cassation française a confirmé la décision antérieure de la Cour d’appel, examinant en profondeur les fondements des revendications des Sulus et concluant que l’affaire était fondamentalement viciée dès l’origine.
Les avocats des Sulus s’étaient appuyés sur une clause du traité de 1878 stipulant qu’en cas de différend, l’affaire devait être tranchée par le consul général britannique à Brunei. Ils soutenaient que malgré la suppression de ce poste en 1984 et l’absence d’un arbitre alternatif nommé dans l’accord, la clause restait valide et qu’un autre arbitre pouvait être désigné.
La Cour de cassation n’a pas suivi ce raisonnement. Elle a validé la décision de la Cour d’appel française, qui avait déterminé, sur la base des preuves historiques, que la relation de confiance entre les parties et le consul général de l’époque constituait le facteur décisif ayant motivé leur accord d’arbitrage. Ainsi, la désignation du consul général britannique à Brunei était indissociable de leur choix d’arbitrer. Par conséquent, la Cour a confirmé que l’accord d’arbitrage n’était plus valide ni contraignant, ce qui signifie que la procédure arbitrale engagée par les Sulus était infondée dès le départ.
Cette conclusion de la Cour sera sans doute accueillie favorablement dans tout le Sud global. La désignation du consul général britannique dans l’accord de 1878 révèle la véritable nature de ce document, essentiellement un piège colonial sans aucune place dans le monde moderne. L’idée que de telles revendications, touchant à la souveraineté d’un État indépendant, puissent être poursuivies par arbitrage international sous l’autorité quasi-judiciaire des anciennes puissances coloniales, est tout simplement incompatible avec les normes modernes et le droit international.
Le jugement français établit un précédent important, mais seulement après que la Malaisie ait mené une bataille juridique longue et coûteuse dans toute l’Europe. Et le combat n’est pas encore terminé. Tant que la sentence de 15 milliards de dollars n’aura pas été définitivement annulée, la menace continuera de peser sur la Malaisie, aggravée par chaque nouvelle procédure des avocats des Sulus.
Selon la Professeure Caroline Kleiner de l’Université Paris Cité, l’annulation de la sentence est quasiment inévitable. Sa disparition devrait nourrir la réflexion alors que la France avance dans ses réformes de l’arbitrage, soulignant la nécessité d’une annulation rapide des affaires non valides, notamment les litiges historiques fantaisistes datant de bien avant la naissance des États plaignants.
Avec la France à l’avant-garde, les failles procédurales de l’arbitrage international pourraient enfin être comblées, marquant ainsi une défaite historique pour l’injustice globale.
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