“La gauche ne peut pas se permettre des batailles d’égos” : à la manif parisienne du 1er-mai, l’union (encore) en débat

Marianne - News

https://resize.marianne.net/img/var/ceHWt2shnp/asH8Suh8byY3rGyU2/asH8Suh8byY3rGyU2.jpg









“La gauche ne peut pas se permettre des batailles d’égos” : à la manif parisienne du 1er-mai, l’union (encore) en débat





















Dans les cortèges de la traditionnelle manifestation du 1er-mai, de nombreux sympathisants de gauche défendaient l’idée d’une « primaire » pour 2027.
IAN LANGSDON/AFP

Reportage

Par

Publié le

Alors que 100 000 manifestants ont battu le pavé à Paris ce jeudi 1er mai, « Marianne » s’est glissée dans les cortèges des partis politiques à l’heure où 2027 est déjà dans toutes les bouches. La veille de la journée des travailleurs, un sondage remarqué par les sympathisants de gauche plaçait une candidature commune au second tour du prochain scrutin présidentiel… De quoi faire revenir la petite musique de « l’union », et les obstacles qui l’accompagnent. Reportage.

Le soleil cogne sur la Place d’Italie, à Paris, ce premier jeudi de mai. Sonia, badge de la CGT-Cheminot bien accroché à la chemisette, cherche un petit coin d’ombre avant le départ des cortèges. « Je suis femme de cheminot, mais j’aime encore plus le train que mon mari ! », précise avec aplomb cette ancienne bibliothécaire à la retraite. La septuagénaire, qui a longtemps été encartée au PCF, ne manquerait pour rien au monde la manifestation du 1er-mai – journée internationale de lutte pour les droits des travailleurs.

À quelques mètres de là, les petites mains insoumises s’affairent à distribuer des pancartes où l’on peut lire « riposte antifasciste », « augmentons les salaires » ou encore « Trump, Poutine, ça dégage ». Jean-Luc Mélenchon doit prendre la parole d’une minute à l’autre. Mais Sonia souffle à l’évocation du nom du tribun. « Qu’on ne vienne plus me parler de lui », prévient l’habitante de Saint-Denis.

« C’est un homme intelligent, reconnaît-elle d’abord. Mais il est prêt à tout, quitte à se renier, pour toucher un électorat particulier. Il se focalise sur ceux qu’ils considèrent être les nouveaux damnés de la terre… Mais il faut s’adresser à tout le monde, sinon on n’est plus dans l’universalisme. » Ces derniers mois, Sonia s’est replongée dans les archives des journaux qu’elle conserve minutieusement chez elle. « En 2014, il disait des choses complètement opposées, notamment sur la religion, remarque la retraitée. Il n’est plus l’anticlérical qu’il était. »

« Mélenchon a fait sortir la gauche du néant »

Il est 14 heures. Une petite foule s’amasse autour de l’estrade de La France insoumise. Jean-Luc Mélenchon vient de monter sur scène aux côtés de plusieurs députés de son mouvement dont Mathilde Panot, Danièle Obono, Éric Coquerel ou encore Louis Boyard. « Le 1er-Mai est pour nous un rassemblement antiraciste et les racistes de toutes les périodes, de toutes les époques, l’ont toujours su », martèle alors le fondateur de LFI, en fustigeant notamment « l’islamophobie », qu’il voit comme une « invention des puissants pour diviser le peuple ».

À LIRE AUSSI : “Islamophobie”, voile… Virage tactique cynique de Mélenchon ou évolution sincère ?

Et d’ajouter : « L’universalisme est fondamentalement de notre côté et nous en sommes fiers. » L’ex-candidat à l’élection présidentielle, dont les ambitions pour 2027 sont un secret de polichinelle, réaffirmera ensuite avec vigueur son soutien aux Gazaouis, « assassinés par des criminels de guerre ». « Je jure qu’ils seront punis s’ils nous passent sous la main et que nous sommes le gouvernement insoumis », promet-il sous les encouragements de ses sympathisants. En ce jour de lutte des salariés d’ArcelorMittal – auxquels se sont joints Marine Tondelier, Olivier Faure et François Ruffin à Dunkerque –, Mélenchon évoquera aussi leur situation, se prononçant pour une « nationalisation » du sidérurgiste.

Parmi les plus convaincus par son discours, on retrouve José. L’homme de 68 ans qui continue de travailler sur des chantiers pour « payer (s)on crédit » parle avec émotion du leader insoumis. « Avant que Mélenchon ne nous fasse surgir du néant, on avait honte de dire qu’on était de gauche, confie-t-il. Le PCF n’avait rien à proposer, le PS nous avait traînés dans la boue… » Une allusion au quinquennat de François Hollande et « toutes ses mauvaises réformes ».

« Et il n’a pas changé ! », assure José, qui est tombé des nues en voyant l’ex-chef d’État socialiste rejoindre le NFP en juin dernier, alors que ce dernier n’a pas de mots assez durs pour qualifier Jean-Luc Mélenchon. Le militant blâme aussi le PCF, où il a un temps été encarté. « Ils ont délibérément choisi d’envoyer Le Pen au second tour en 2022, dénonce-t-il en assurant que le retrait de Fabien Roussel aurait permis de qualifier le candidat insoumis. C’est une ligne rouge ! » Et de glisser au passage : « On aurait eu un discours sortant du voile et de toutes ces saloperies… »

Avec ou sans le PS ?

Si José affirme que l’union de la gauche au moment de la Nupes et du NFP s’est faite « à l’initiative de LFI », le militant des Hauts-de-Seine serait plutôt pour partir sans alliance en 2027. « On se prend trop de coups de poignard dans le dos », lâche-t-il, amer. « Vous imaginez s’il y a des législatives anticipées demain ? On ne va quand même pas avoir le culot de présenter un nouveau nouveau front populaire… C’est illisible pour les électeurs », observe-t-il.

À deux pas de là, deux « camarades » sont en pleine discussion. La scène pourrait paraître cocasse, l’un tenant fièrement un drapeau de LFI, l’autre des Écologistes. « On a mené campagne ensemble aux législatives, avec les copains du PCF et de LFI », précise en souriant Jean-Noël, l’écolo de 59 ans. Et le PS ? Les deux hommes, qui sont tous deux d’anciens militants socialistes, rient jaune face à cet oubli. « Les nouvelles du congrès ne sont pas bonnes… Toutes les motions que j’ai regardées prônent le “tout sauf LFI”, y compris celle portée par Olivier Faure », déplore Dominique, qui se déclare « vieux militant de l’union de la gauche… » mais plutôt sans le PS.

À LIRE AUSSI : “S’il gagne le congrès, le PS explose une deuxième fois” : François Hollande, ou le retour de Monsieur “pourquoi pas”

« Nous, chez les écolos, on veut l’union avec les quatre partis… Ça veut dire avec le PS ! Il faut être tous ensemble : c’est la seule solution pour passer au second tour, alors ça vaut la peine d’essayer », rétorque Jean-Noël. « Ah, les grandes espérances des Verts ! Je les plains », s’amuse Dominique. La veille, un sondage Harris Interactive, notamment relayé par la chef des Écologistes Marine Tondelier, montre qu’une candidature commune de la gauche en 2027 permettrait de se qualifier pour le second tour avec 26 % – devant Renaissance (19 %) et derrière le RN (34 %).

Une autre hypothèse de ce sondage montre aussi qu’un candidat issu d’une alliance des partis de gauche peut se qualifier pour le second tour (20 %), même en cas de candidature insoumise – le scénario le plus probable. « Mais avec Renaissance à 18 % dans ce cas-là, c’est ric-rac, commente Jean-Noël en rejoignant le camion de son parti. On serait tranquille avec une liste commune. » Et l’écolo d’espérer : « Mélenchon avait promis qu’il n’irait pas… Pour une fois, il pourrait tenir sa promesse ! » Reste à voir qui pourrait s’imposer en cas de candidature commune à gauche.

Le spectre d’une primaire

Non loin de là, on tombe sur le cortège formé par Picardie Debout, Génération.s et L’Après – le mouvement créé par les députés purgés par la direction de LFI. Avec sa veste croisée en lin et sa cravate, Thomas dénoterait presque dans la foule manifestante. « Aujourd’hui, les deux seules personnalités capables de rassembler suffisamment pour une présidentielle sont Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin », souffle l’étudiant en droit à la Sorbonne tiré à quatre épingles en ce 1er-mai. « Mais même si Mélenchon demeure légitime, on sait qu’il ne voudra pas d’une primaire… », déplore le jeune homme qui préfère voir un « espoir » dans une candidature portée par François Ruffin.

Et pour cause, le député picard a récemment fait un pas vers la présidentielle, estimant qu’il avait « la légitimité pour représenter la gauche ». Si Thomas semble convaincu, c’est parce que le fondateur de Fakir propose à la fois un « projet alternatif à gauche », tout en recentrant le projet politique autour de questions économiques et sociales essentielles, qu’il juge « trop souvent reléguées après la question identitaire chez une partie de la gauche ».

À LIRE AUSSI : “Au moins, lui, il n’est pas sectaire” : en meeting à Montreuil, François Ruffin drague la gauche pour 2027

« Ruffin a d’ailleurs choisi d’être à Dunkerque aujourd’hui, alors que 600 postes vont être supprimés, ce n’est pas un choix anodin », souligne Samy, en rejoignant la conversation. Lui aussi défend l’idée d’une primaire pour arriver à l’union. « Face au RN, la gauche ne peut pas se permettre des batailles égotiques, faut laisser les égos de côté », insiste le jeune trentenaire.

Une primaire, peut être… À condition que son issue soit respectée. À deux pas de là, Bernadette a encore le souvenir douloureux de 2017. L’ancienne militante socialiste passée chez Génération.s depuis n’a jamais pardonné le refus de certains de son parti de soutenir Benoît Hamon lors de la présidentielle, malgré leurs engagements tenus. « Au moins, ça a permis de faire du tri entre ceux qui étaient sincères… Et les opportunistes, lance Jérôme, lui aussi militant dans le Val-d’Oise. La preuve, on se retrouve aujourd’hui avec Valls au gouvernement ! »


Nos abonnés aiment

Plus de Politique

Votre abonnement nous engage

En vous abonnant, vous soutenez le projet de la rédaction de Marianne : un journalisme libre, ni partisan, ni pactisant, toujours engagé ; un journalisme à la fois critique et force de proposition.

Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne

0 0 votes
Article Rating
S’abonner
Notification pour
guest
0 Comments
Le plus populaire
Le plus récent Le plus ancien
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires

Welcome Back!

Login to your account below

Create New Account!

Fill the forms below to register

Retrieve your password

Please enter your username or email address to reset your password.

Add New Playlist

0
Nous aimerions avoir votre avis, veuillez laisser un commentaire.x
Are you sure want to unlock this post?
Unlock left : 0
Are you sure want to cancel subscription?