Plus de 140 millions de voyageurs ont utilisé la ligne à grande vitesse entre Tours et Bordeaux, inaugurée en juillet 2017, pour mettre la capitale girondine à 2h04 de Paris. Un succès indéniable qui fait de cet axe de 302 km la deuxième LGV la plus fréquentée après Paris-Lyon, et l’une plus attractives pour les concurrents de la SNCF.
Mais un succès qui touche aussi un plafond faute d’une offre suffisante. « Nous estimons qu’autour de deux millions de voyageurs restent à quai chaque année faute de pouvoir trouver un siège disponible sur l’axe Paris-Bordeaux », assure Lionel Epely. Le président de Lisea, qui gère la ligne jusqu’en 2061, a organisé ce 25 mars une journée de débat sur les perspectives de cette ligne réunissant toutes les parties prenantes.
Une offre insatisfaite
« Pour nous le compte n’y est pas, il manque toujours 10 à 15 % de places par rapport à la demande », confirme ainsi Christian Broucaret, le président de la Fnaut Nouvelle-Aquitaine (Fédération nationale des associations d’usagers des transports). « La LGV est victime de son succès », abonde François Perrin, le président du Medef régional. Seul opérateur à circuler sur la ligne, la SNCF est directement concernée par cet enjeu alors même qu’il reste de nombreux sillons disponibles.
Et bien qu’elle ne confirme par les chiffres de Lisea, elle reconnaît qu’il existe une offre insatisfaite dont les ordres de grandeur sont cohérents : « Nous proposerons 1,5 million de sièges supplémentaires par an à partir de la fin 2025 grâce à des rames plus capacitaires », rappelle ainsi Franck Dubourdieu, le directeur TGV Atlantique chez SNCF Voyageurs.
Un site de maintenance dédié
Mais Lisea et ses actionnaires – Vinci Concessions, Meridiam et la Caisse des dépôts – comptent bien inciter d’autres opérateurs à emprunter cet axe en complémentarité, voire en concurrence frontale, avec la SNCF. Ils viennent ainsi de démarrer le chantier du futur site de maintenance et de remisage (SMR) au sud de Bordeaux. Il sera mis à la disposition de nouveaux entrants dès 2028, autant dire demain au regard du temps long du ferroviaire. « Notre développement en France ne pourra se faire qu’avec des ateliers en France. Ce site de maintenance lève un frein évident », opine Anne-Cécile Delbes, directrice juridique de Trenitalia France. L’entreprise italienne n’opère actuellement que sur l’axe Paris-Lyon-Milan, justement parce qu’elle doit faire réviser ses trains en Italie.
Mais Trenitalia circule aussi en Espagne et lorgne sur de potentielles liaisons France-Espagne après 2032, une fois la grande vitesse arrivée à Toulouse. Même logique du côté de la Renfe, son homologue espagnole, bien qu’elle rencontre des difficultés à s’imposer sur les liaisons Marseille-Madrid et Lyon-Barcelone.
Mais, à plus court terme, c’est bien Proxima qui est la candidate la plus sérieuse sur le Paris-Bordeaux. Financée à hauteur d’un milliard d’euros par le fonds d’Antin Infrastructure Partners, la start-up dirigée par Rachel Picard a commandé douze rames Avelia Horizon à Alstom et utilisera le site de maintenance de Lisea dès 2028. « Nous proposerons dix millions de places depuis Paris vers Rennes, Nantes-Angers et Bordeaux. On a un positionnement agile et complémentaire de la SNCF pour cibler les clients qui restent à quai et en convaincre de nouveaux », fait valoir Rachel Picard. Pour se démarquer, l’ancienne directrice de Voyages SNCF mise « sur l’expérience voyageur avant, après et pendant le trajet grâce à des trains connectés conçus pour cela ».
« La concurrence ça fonctionne ! »
« Les sillons les plus attractifs sont déjà pris, l’enjeu fondamental n’est donc pas d’avoir plus de trains, mais des rames plus capacitaires et qui circulent davantage », prévient Franck Dubourdieu, qui évoque « des TGV remplis à plus de 80 % sur Tours-Bordeaux ».
Mais la SNCF devra effectivement faire face à une bataille tarifaire, notamment lors du lancement de Proxima qui bénéficiera temporairement de péages réduits comme tout nouvel entrant. « Oui, il y aura une attaque sur les prix pendant un temps, mais ensuite les nouveaux opérateurs auront les mêmes coûts industriels et donc les mêmes tarifs que nous », assure le directeur de TGV Atlantique. « Nous sommes l’opérateur historique sur Tours-Bordeaux et nous comptons bien être aussi l’opérateur d’avenir ! »
La réalité sera probablement plus complexe, prévient l’économiste Alain Bonnafous, professeur émérite de l’Université de Lyon : « La grande vitesse est une activité très rentable pour la SNCF avec des ratios exceptionnels pour le monde ferroviaire. Mais si on regarde le Sud-Est, la concurrence a bénéficié à l’usager avec un peu plus d’offres et des tarifs un peu moins chers. » Même son de cloche à la Commission européenne par la voix de Kristian Schmidt, le directeur général de la mobilité : « La concurrence ça fonctionne ! Pas pour faire plaisir à la Commission européenne mais au bénéfice des usagers avec, par exemple, des prix qui ont baissé de -28 % en Espagne et une fréquentation qui a bondi en République tchèque. »
