La méthode Luis Vassy : à Sciences Po, une reprise en main sous tension face aux manifestations pro-Gaza

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La méthode Luis Vassy : à Sciences Po, une reprise en main sous tension face aux manifestations pro-Gaza





















Depuis les attentats du 7 octobre 2023, les étudiants de Sciences Po multiplient les manifestations au sein de l’IEP.
HOUPLINE-RENARD/SIPA

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Face aux mobilisations propalestiniennes, Luis Vassy, le nouveau directeur de l’Institut d’études politiques de Paris (IEP), veut serrer la vis : exclusions, réforme des admissions… L’enjeu : faire revenir les mécènes et l’excellence. Mais ses méthodes musclées agacent une partie des étudiants et des enseignants.

« Nous sommes tous des enfants de Gaza ! », « Israël assassin ! ». Cet après-midi d’avril, une centaine d’étudiants, keffieh autour du cou, parfois le visage masqué, se sont rassemblés devant Sciences Po Paris. Ils avaient auparavant organisé un atelier pour peinturlurer leurs banderoles dans le très chic jardin privatif de l’IEP.

Leurs principales revendications ? Une condamnation officielle de la politique de Netanyahou et une rupture des partenariats entre l’institution et les universités israéliennes, « toutes complices du génocide ». Une obsession qu’ils partagent avec leurs camarades de Sciences Po Strasbourg, actuellement dans la tourmente.

Si on compte quelques étudiants de Nanterre, trois retraités pro-LFI parisiens et un barbu au look salafiste, la majorité étudie bien à Sciences Po. La reprise des bombardements à Gaza ravive l’activisme estudiantin. Le changement de pied d’Emmanuel Macron, qui a annoncé mi-avril vouloir un État palestinien, les fera-t-il se raviser ? « On n’y croit pas. La politique arabe de la France est morte », nous disent une poignée militants contactés par téléphone.

Nommé directeur en septembre 2024, Luis Vassy, un diplomate qui a partagé les bancs de l’ENA avec le président, a été désigné pour remettre de l’ordre dans cette institution en crise. Depuis les attaques du 7 octobre 2023 et la guerre qui a suivi, Sciences Po est traversée par une série de remous internes : démission du directeur précédent, occupation des locaux, accusations de dérives antisémites. Vassy assume sa feuille de route : restauration de l’image de marque et rétablissement de l’autorité.

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Deux étudiants racontent ainsi s’être fait « dégager » lors d’une tentative d’occupation nocturne des bâtiments en mars : « Vassy appelle désormais systématiquement les CRS », déplorent-ils. Pas moins d’une quarantaine d’étudiants attendent d’être traduits en conseil de discipline, soupçonnés de différentes exactions, propos discriminatoires ou blocages.

Une dizaine ont même été momentanément interdits d’accès aux bâtiments avant toute comparution administrative. Ils s’en sont notamment pris à des stands d’entreprise en septembre 2024 ou ont essayé d’empêcher la tenue d’une réunion du conseil de l’IEP en février. « Un des gamins a jeté quelqu’un au sol et porté des coups lors de l’occupation d’un amphi », ajoute-t-on côté direction. Elle-même suspendue quelques semaines, Alice Cohen-Morzadec, présidente de l’Union étudiante, estime que cette mesure « politique vise à intimider les étudiants ».

« Ni une ONG ni une ambassade »

Ces exclusions sont un « fait du prince », dénoncent ces étudiants soutenus par un quart de leurs enseignants : 84 enseignants-chercheurs de la « faculté permanente » sur 300 ont signé un courrier protestant contre le « recours excessif et arbitraire aux mesures d’exclusions temporaires ». « C’est la seule solution pour que nous aboutissions à des sanctions », réplique la direction.

Les conseils de discipline sont tellement embouteillés qu’ils mettent plus d’un an à prendre une décision (contre une à deux semaines dans un établissement scolaire). Souvent, quand la décision tombe, l’étudiant concerné a terminé ses études… Et les sanctions sont parfois jugées faiblardes. Un étudiant qui avait empêché une étudiante d’entrer dans un amphithéâtre – l’affaire avait fait polémique, certains témoins ayant entendu la phrase « Ne la laissez pas entrer, c’est une sioniste » – n’a écopé que d’un « avertissement ».

L’annulation, cet hiver, d’une conférence de l’eurodéputée Rima Hassan a provoqué un mini-tollé. Mais, selon plusieurs enseignants contactés par Marianne, le retour à une direction moins flottante est aussi perçu avec soulagement : « Le noyau militant ne concerne que quelques dizaines d’étudiants », raconte une enseignante présente dans les murs depuis une quinzaine d’années. « Ses opposants lui reprochent d’être un poisson froid, mais Vassy connaît très bien ses dossiers. ll ne s’en laisse pas conter. Les étudiants comme les profs avaient perdu l’habitude. »

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Encore faut-il relativiser cet apaisement. Sur les campus du Havre ou de Menton, loin de Paris, l’agitation se poursuit. Un peu partout, certains enseignants se sont mués en militants, raconte une autre enseignante : « Des professeurs de sciences humaines ont une lecture du monde décoloniale et simpliste. » Pour Dominique Reynié, médiatique professeur à Sciences Po, certains sont même « en dehors de la réalité. Ils sous-estiment les risques de violences ».

En mars, les instances de l’école ont décidé que, désormais, Sciences Po ne prendrait position que sur des sujets liés à sa mission de recherche et d’enseignement : « Nous ne sommes ni une ONG ni une ambassade », résume Luis Vassy. Les motions symboliques sur les conflits internationaux ou la politique sont désormais écartées, même en interne. Une décision contestée par certains militants étudiants, à l’image de Mathis Grossnickel (EELV), qui y voit un recul démocratique. Dominique Reynié, lui, défend cette orientation : « Un conseil n’est pas un lieu d’activisme politique. »

Opération séduction des mécènes

Le changement affiché a rassuré certains mécènes. Un élément crucial pour Sciences Po, dont une part croissante du budget vient de fonds privés. Les enfants de Jean-Paul Fitoussi, défunt professeur de l’IEP, ont ainsi annoncé la reprise d’une bourse doctorale le 26 mars, « en soutien à Luis Vassy ». Cette dernière avait été suspendue un an auparavant, en réaction « à la réponse consternante de Sciences Po » vis-à-vis des étudiants dans le cadre du conflit israélo-palestinien.

Le mécène américain Francis McCourt, qui avait stoppé ses versements, a fini par les reconduire. Les petits donateurs individuels – qui donnent environ un million d’euros par an – sont également en partie revenus. Fin mars, Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, a assuré qu’elle rétablirait les subventions publiques.

Malgré la crise, l’exercice comptable de 2024 devrait être positif, selon un rapport de la Cour des comptes dévoilé le 11 avril. Pour autant, la pérennité du modèle actuel, fondé sur des financements publics importants et des droits de scolarité élevés, n’est pas assurée. Séduire les mécènes se révèle donc stratégique…

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En parallèle, Vassy a lancé une réforme en profondeur du processus d’admission. L’objectif : renforcer l’exigence académique et lutter contre les effets pervers du nouveau bac. En 2024, 93 % des admis avaient, certes, une mention TB à l’examen, et l’attractivité de l’IEP ne cesse d’augmenter sur Parcoursup. Mais des biais d’évaluation posent question.

Certains lycées parisiens, publics comme privés, y compris Louis-le-Grand et Henri-IV, ont cessé d’encourager leurs élèves à postuler, estimant leurs chances trop faibles face à l’inflation des notes du contrôle continu au bac. Pour mieux repérer les excellents lycéens, la direction a décidé de valoriser la note de français, seule épreuve nationale, et de réintroduire une épreuve écrite maison. Fini aussi les essais personnels, jugés trop subjectifs.

Des biais de recrutement

« Quand vous voyez qu’on peut être admis avec un modeste 11/20 au bac de français, grâce à une lettre expliquant que votre motivation principale est de devenir syndicaliste, ça interroge sur les biais de recrutement », s’agace-t-on à la direction. Des pratiques jugées partiales sont également pointées du doigt : un examinateur a déclaré refuser systématiquement les candidats issus de l’enseignement privé ; d’autres minimisent la valeur de l’épreuve nationale.

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L’IEP entend conserver ses engagements en matière de diversité (30 % de boursiers et des profils venus de toute la France) mais insiste sur la nécessité d’une harmonisation entre les correcteurs. « Il y a une forme d’arbitraire, c’est connu », raconte Terence Blanc, étudiant et militant LR, qui soutient ce changement. À l’inverse, Mathis Grossnickel, encarté à EELV, estime surtout que la nouvelle direction, « attachée à une image passée de Sciences Po, entend rassurer la population aisée de Paris. Pourtant, l’excellence n’a jamais disparu ! ».

Luis Vassy a organisé une réunion avec une quarantaine de proviseurs franciliens pour les convaincre de revenir dans le processus de sélection. « L’excellence, ce n’est pas un gros mot », affirme-t-on à la direction, où l’on se félicite cette année de voir augmenter de 30 % les candidatures provenant des lycées d’élite.


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