Alors que les conflits qui ont entraîné la mort de deux millions de personnes entrent dans leur trentième année, la République démocratique du Congo espère une sortie de crise en trouvant dans les États-Unis un parrain de paix. À l’est de l’immense pays, le Kivu, région frontalière du Rwanda, est l’épicentre de ces guerres qui ravagent les Grands lacs.
Tantale, coltan, tungstène, étain… Au cours des vingt dernières années, le nord et le sud de la province du Kivu sont devenus les principaux lieux d’extraction des minerais indispensables aux produits électroniques du quotidien moderne. Une aubaine économique qui s’est transformée en malédiction, à mesure que les puissances étrangères se sont approprié les richesses et que des groupes rebelles locaux ont entamé des guérillas. Parmi ces groupes, le M23, directement soutenu par le voisin rwandais, est devenu le plus menaçant et meurtrier depuis 2022.
Triple accord cynique
Après des années de guerre, un accord de paix entre Kigali et Kinshasa pourrait être signé à Washington à la fin de ce mois de juin, selon le ministre des Affaires étrangères rwandais, Olivier Nduhungirehe. Comment l’administration Trump pourrait-elle réussir en six mois là où trois décennies de diplomatie dans la région des Grands lacs ont échoué ? Rien n’affirme pour le moment que l’accord aboutira, mais la méthode novatrice étonne. Washington a placé les enjeux économiques américains, congolais et rwandais au cœur d’un étrange triangle diplomatique. En échange d’un accord de paix entre les deux pays africains, les États-Unis promettent des accords bilatéraux avec chacun. Ainsi, derrière le processus pacifique se cache aussi la volonté de Donald Trump d’obtenir un deal sur les métaux critiques de la République démocratique du Congo. De même, l’administration américaine négocie avec le Rwanda un accord migratoire permettant l’expulsion d’immigrés clandestins des États-Unis vers Kigali, en échange de fonds.
Pur cynisme, la paix pourrait ainsi être conclue en échange des ressources congolaises et de l’accueil de migrants expulsés. Ce triple accord donnerait aux États-Unis à la fois le rôle d’investisseur et celui de médiateur de paix. Une diplomatie nouvelle, à rebours de ce que la Maison-Blanche proposait jusqu’alors, les Grands lacs n’ayant jamais été une priorité américaine, malgré la brutalité du conflit.
C’est la figure de Massad Boulos qui incarne ce changement. L’homme d’affaires américano-libanais, beau père de la fille de Donald Trump, a été nommé par ce dernier comme conseiller principal du président pour l’Afrique. Depuis sa nomination, le businessman n’a cessé de discuter avec la République démocratique du Congo, le Rwanda et l’Ouganda, faisant de la région des Grands lacs et ses ressources minérales la priorité de son action. Déjà, il peut se féliciter d’avoir obtenu des dirigeants congolais et rwandais qu’ils signent début mai un accord de principe en vue d’un processus de paix, aidé d’un comité de suivi, dont la France est membre, au même titre que le Togo et le Qatar.
Une économie minière en proie à l’instabilité
Parallèlement aux négociations de paix, la République démocratique du Congo continue de négocier son accord minéral. Aidé par le cabinet de lobbying Von Batten-Montague-York, Kinshasa active ses relais à Washington afin de conclure le deal. L’immense pays d’Afrique central est prêt à faciliter l’accès à son sous-sol aux majors américaines, mais souhaite surtout que le traitement, le raffinage et la transformation des ressources – étapes à grande valeur ajoutée – se fassent également sur le sol congolais.
Pour le moment, les entreprises américaines se montrent plus que réticentes à investir au Kivu, malgré les immenses réserves du sous-sol. En dépit des négociations en cours, la guerre continue dans la région. Le 10 mai, la société minière chinoise Twangiza Mining annonçait la suspension de l’exploitation de sa mine d’or du Sud-Kivu en raison des combats. Les rebelles du M23 – soutenus par le Rwanda – ont également mis la main sur la mine de Rubaya, d’où est extrait un tiers de la production mondiale de coltan. À Washington, les plus cyniques des faucons s’interrogent : si le Rwanda a la main sur les ressources du Congo, à quoi bon négocier avec les Congolais ?
Les minerais de sang – issus de la captation des richesses par la guerre et profitant au Rwanda – sont donc au cœur des débats. Au cours du mois de février dernier, l’Union européenne a suspendu son accord minier avec le Rwanda, accusant le pays dirigé depuis vingt-cinq ans par Paul Kagame de « pillage des ressources naturelles congolaises ». Washington pourrait ne pas être aussi scrupuleux dans ses accords. Déjà, sous l’égide du département d’État américain, la société rwandaise Trinity Metals a signé le 13 mai dernier une lettre d’intention pour construire une chaîne d’approvisionnement d’étain pour la société de Pennsylvanie Nathan Trotter.
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Julien Gouesmat