C’est une décision qui avait fait date. En 2023, La Poste était devenue la première entreprise condamnée sur le fondement de la loi française de 2017 relative au devoir de vigilance. Motif : un plan jugé imprécis et insuffisamment opérationnel. Le tribunal avait exigé qu’il soit complété, notamment par une cartographie détaillée des risques. L’entreprise publique, qui emploie 230.000 personnes dans le monde, avait fait appel.
L’affaire doit être rejugée mardi. Entre-temps, La Poste s’est défendue, assurant que le jugement initial portait sur des versions anciennes de son plan, et que des « avancées notables » ont été réalisées en 2022 et 2023. Aucun volet financier n’avait été attaché à la condamnation, mais l’enjeu est autant juridique que politique.
Une loi née du Rana Plaza
Adoptée après l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh, qui avait fait 1 138 morts en 2013 dans l’industrie textile, la loi française impose aux grandes entreprises – plus de 5.000 salariés en France ou 10.000 dans le monde – d’identifier et prévenir les atteintes graves aux droits humains et à l’environnement. Cela inclut non seulement leurs activités directes, mais aussi celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants.
« Cette loi est née d’un impératif moral et d’un constat : les entreprises ont une responsabilité sur l’ensemble de leur chaîne de valeur », rappelle une juriste spécialisée en droit des affaires. Mais sur le terrain, sa mise en œuvre reste difficile à contrôler. Plusieurs multinationales sont visées par des procédures similaires : TotalEnergies, BNP Paribas, Casino… mais aucune n’a été condamnée à ce jour, hormis La Poste.
L’Europe recule, sous pression politique
Paradoxalement, alors que la directive européenne sur le devoir de vigilance semblait en passe d’élargir le cadre, son avenir s’assombrit. Adopté en avril après de longues tractations, le texte visait à imposer à toutes les grandes entreprises opérant dans l’UE une obligation de vigilance similaire, élargie au travail des enfants, au travail forcé ou à la pollution.
Mais en mai, Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz ont demandé le retrait pur et simple de la directive. « Un fardeau administratif insupportable », dénoncent les organisations patronales, soutenues par une partie des exécutifs. L’entrée en vigueur du texte, prévue pour 2027, a d’ores et déjà été repoussée à 2028.
La décision à venir dans le dossier La Poste pourrait donc faire figure de test. Elle dira si les juges entendent maintenir l’exigence de conformité, ou si le climat politique ambiant emporte aussi le droit. À quelques jours du verdict, les ONG, à l’origine des poursuites, maintiennent la pression. « Il ne s’agit pas de bureaucratie, mais de prévenir des tragédies humaines et écologiques évitables », résume une responsable de Sherpa, partie prenante au combat.
(Avec AFP)
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