Daniel-Perron / Hans Lucas
Monnaie d’échange
Par Valentine Daru
Publié le
Après le soulagement suscité par la libération d’Olivier Grondeau des geôles iraniennes, et de retour en France lundi 17 mars, Emmanuel Macron assurait que la mobilisation du gouvernement « ne faiblira pas » pour libérer les deux autres Français toujours détenus en Iran. La question du sort de ces « otages d’État » se pose avec d’autant plus d’inquiétude au vu du regain des tensions entre la France et les États ravisseurs.
« Notre mobilisation ne faiblira pas : Cécile Kohler et Jacques Paris doivent être libérés des geôles iraniennes », a martelé le chef de l’État dans un message sur X jeudi 20 mars. Depuis le 7 mai 2022, le couple de Français est détenu par le régime iranien dans des conditions particulièrement difficiles.
Sur cette liste sinistre figurent aussi les noms de l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, arrêté en Algérie, mais aussi ceux, moins connus, de Théo Clerc et Martin Ryan, emprisonnés en Azerbaïdjan, et Laurent Vinatier, détenu par la Russie. À l’aune d’un regain des tensions internationales, ces « otages d’État » deviennent de précieuses monnaies d’échange dans les négociations pour les États ravisseurs.
« Diplomatie des otages d’État » en Iran
Si la libération de Cécile Kohler et Jacques Paris semble aussi délicate, c’est aussi en raison de la sensibilité du dossier du nucléaire iranien, véritable bras de fer entre les Occidentaux et la République islamique d’Iran. Alors que Téhéran nie vouloir se doter de l’arme nucléaire – malgré l’augmentation de ses réserves d’uranium enrichi nécessaires pour fabriquer l’arme tant convoitée – Emmanuel Macron conserve une ligne politique dure à l’égard de l’Iran. Le 7 janvier dernier, lors d’une réunion avec les ambassadeurs Français à l’Élysée, le président a qualifié l’Iran de « principal défi stratégique et sécuritaire » au Moyen-Orient, provoquant l’ire de Téhéran. « Pour la République islamique, Emmanuel Macron représente l’ennemi », affirmait le journaliste italo-iranien Ahmad Rafat dans un entretien à Marianne.
Dans ce contexte, difficile d’imaginer que l’Iran accepte de libérer prochainement Cécile Kohler et Jacques Paris, arrêtés le 7 mai 2022 lors d’un voyage touristique en Iran. Le couple est accusé d’avoir cherché à « provoquer le chaos et le désordre social dans le but de déstabiliser ». Comme Olivier Grondeau, mais aussi Louis Arnaud, Benjamin Brière et Bernard Phelan – des ressortissants Français libérés depuis – avant eux, Cécile Kohler et Jacques Paris sont accusés d’espionnage. Selon le journaliste Ahmad Rafat, Cécile Kohler avait été « obligée de reconnaître à la télévision iranienne qu’elle était soi-disant une espionne », tout comme Jacques Paris, également forcé aux aveux.
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Depuis trois ans, Cécile Kohler et Jacques Paris sont incarcérés dans la prison d’Evin, où les conditions de détention sont réputées particulièrement difficiles. « La section 209 est celle des prisonniers politiques, et la plus dure. Ils n’ont pas accès à leur protection consulaire et sont soumis à des actes assimilables à de la torture psychologique. Cécile est dans une cellule d’environ 8 m2 où la lumière est allumée jour et nuit. Elle n’a droit qu’à trois sorties de 20 minutes par semaine et dort à même le sol. Elle n’a droit à aucune activité et n’a que de rares contacts humains. Sa santé psychique se dégrade, elle semble à bout de forces. L’état de Jacques est également très préoccupant », déplore Me Ardakani, l’avocate de Cécile Kohler, auprès de Marianne.
« Cécile et Jacques ne sont que les victimes d’un bras de fer entre les autorités iraniennes et françaises sur des dossiers qui leur sont complètement étrangers : le soutien de l’Iran à la Russie par la livraison des drones, et la déstabilisation de l’Iran au Moyen-Orient par le biais de financements d’organisations comme le Hezbollah ou le Hamas », explique encore Me Ardakanie.
Hier, le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot, affirmait qu’il « n’y a pas de contrepartie aux libérations d’otages ». Me Ardakani, elle, maintient l’existence de compensations tacites. « Si les contreparties par l’État français ne sont pas connues, ce droit de vie ou de mort sur les otages contraint nécessairement la liberté de ton des autorités françaises à l’égard du régime iranien. Une libération n’est jamais neutre, il y a toujours un coût politique à payer », affirmait-elle à Marianne.
Selon l’avocate, les autorités diplomatiques françaises n’entrevoient aucune perspective de libération prochaine à l’heure actuelle. Les avocats de Cécile Kohler envisagent d’entamer une saisine judiciaire, dont les modalités restent à déterminer. « À la stratégie du rapport de force violent et illégal qu’impose l’État iranien, nous entendons nous emparer du droit. Il faudra obtenir une condamnation judiciaire pour mettre en échec l’État iranien, moralement et symboliquement », conclut-elle.
La France paye son soutien à l’Ukraine
La fraîcheur des relations entre Paris et Moscou complique également les discussions sur la libération de Laurent Vinatier, un chercheur Français de 48 ans incarcéré en Russie depuis le 6 juin 2024. Il est accusé de ne pas s’être enregistré comme « agent de l’étranger » alors qu’il collectait des « informations dans le domaine des activités militaires » pouvant être « utilisées contre la Russie », selon le Kremlin.
Le Français travaillait en Russie depuis des années en tant que salarié du Centre pour le dialogue humanitaire, une ONG suisse qui œuvre à la résolution de conflits par la médiation. S’il a reconnu les faits qui lui étaient reprochés et tenté de plaider l’indulgence du tribunal, sa peine de trois ans de prison ferme a été confirmée le 24 février 2025 par un tribunal moscovite. Outre sa libération immédiate, le Quai d’Orsay demande l’abrogation de la loi sur les « agents de l’étranger », qui « contribue à une violation systématique des libertés fondamentales en Russie », selon le ministère des Affaires étrangères.
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Une annonce de plus qui intervient dans un contexte de fortes tensions entre Paris et Moscou, le gouvernement français accusant la Russie de multiplier ses tentatives de déstabilisation et de désinformation sur son territoire. De son côté, Moscou reproche à la France son soutien à Volodymyr Zelensky, mais aussi d’avoir censuré des médias russes dans l’Hexagone, à l’instar de RT France.
« Risque de détention arbitraire » en Azerbaïdjan
Le 4 septembre 2024, le ministère des Affaires étrangères Français alertait ses ressortissants des « risques d’arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable en Azerbaïdjan ». Des « allégations infondées » immédiatement dénoncées par Bakou qui accuse la France de mener une « campagne de diffamation » à l’égard de l’Azerbaïdjan.
Les risques sont pourtant réels. Un an plus tôt, le 4 septembre 2023, Martin Ryan, un homme d’affaires Français est arrêté et accusé d’être un espion de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Des allégations « catégoriquement » rejetées par les autorités françaises. À l’ouverture de son procès le 6 janvier 2025, le juge a indiqué qu’il risquait entre 10 et 15 ans d’emprisonnement (AFP). Son procès se poursuivra le 14 avril prochain.
Le 12 décembre 2023, quelques jours seulement après l’arrestation de Martin Rayan, c’est au tour de Théo Clerc, un graffeur français de 38 ans, d’être arrêté par les forces azerbaïdjanaises. Il est arrêté avec deux autres artistes étrangers pour avoir tagué un métro. Les trois accusés sont finalement relâchés et écopent d’une amende de 3 000 dollars. Mais le lendemain, Théo Clerc est arrêté une nouvelle fois et directement placé en rétention. Ses deux acolytes, eux, ne sont pas inquiétés. Le 12 septembre 2024, il est condamné à trois ans de prison ferme pour « dégradation de biens publics » et « hooliganisme ». Pour Margot Fontaine, son avocate, le graffeur est un « otage diplomatique », « pris au piège » des « mauvaises relations entre la France et l’Azerbaïdjan, qui ne font que se détériorer ».
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Selon les informations d’Intelligence Online, un journal consacré aux enjeux du renseignement dans le monde, l’Azerbaïdjan envisagerait la libération des deux ressortissants Français contre le « retour de deux Azerbaïdjanais : un opposant protégé par la France et un ex-collaborateur de ses services de renseignement qui a demandé l’asile ».
Les tensions diplomatiques entre les deux pays proviennent en grande partie du soutien inconditionnel de la France à l’Arménie dans son combat pour « la paix, le respect de ses frontières et son intégrité territoriale », selon les propos de l’ancien Premier ministre Gabriel Attal en avril 2024, qui avait également dénoncé « l’exil forcé » de 100 000 Arméniens après la reprise par Bakou du contrôle de l’enclave du Haut-Karabakh en septembre 2023. Des propos qui passent mal auprès du gouvernement azerbaïdjanais, qui réclame une forme de neutralité de la France dans ce dossier.
De leur côté, les autorités françaises accusent l’Azerbaïdjan d’une ingérence dans ses territoires d’outre-mer, notamment durant les émeutes en Nouvelle-Calédonie. En 2024, la France avait également accusé Bakou d’avoir orchestré une opération de désinformation liée aux Jeux Olympiques. Des allégations une nouvelle fois niées par le gouvernement azerbaïdjanais.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne