Ōfunato (Japon).– Dans les hauteurs d’Ōfunato, ville côtière du nord-est du Japon touchée par le tsunami meurtrier de 2011, les kilomètres de forêt noircie défilent par la fenêtre de la voiture. Cette semaine, la cendre est toujours très présente dans les massifs forestiers où le feu vient tout juste d’être éteint. L’odeur de bois brûlé continue de prendre aux narines. Mais l’heure est au soulagement : le feu de forêt d’Ōfunato, qui a stoppé sa progression après onze jours de flammes, est désormais sous contrôle, a déclaré dimanche 9 mars le maire de la ville, Kiyoshi Fuchigami.
La majorité des 4 500 personnes évacuées ont pu quitter les centres d’évacuation et rentrer chez elles. Pour les autorités, c’est aussi l’heure du bilan : l’incendie, qui a fait un mort et ravagé 2 900 hectares de bois, a endommagé plus de 200 maisons et bâtiments, dont 171 qui sont entièrement détruits. 9 % de la superficie d’Ōfunato (35 000 habitant·es) est concernée par le sinistre, qui a mobilisé 2 000 pompiers et personnels des forces d’autodéfense japonaises.
Ce feu de forêt, qui a surpris la population locale, est d’ores et déjà répertorié comme le plus important de ces cinquante dernières années au Japon.
Les incendies ne sont pas rares dans l’archipel, qui en enregistre environ 1 300 par an. Dans cette partie de la région d’Iwate, où les villes sont lovées entre côte du Pacifique et massifs forestiers, les habitant·es ont « l’habitude », reconnaît Sô Kanno, 48 ans, fonctionnaire réquisitionné dans un des derniers centres d’évacuation de la ville. « Mais un feu de cette taille, [ils] n’en av[aient] jamais vu. Tous les jours [ils] le voy[aient] grandir, grandir. » Le soir, malgré la noirceur de la nuit, ils pouvaient « apercevoir cette fumée noire s’élever ». Il ajoute dans une grimace : « Et puis l’odeur. »
Bouche-à-oreille
Si l’ordre d’évacuation a été levé pour une grande majorité des habitant·es, ce lundi 10 mars, une centaine de personnes, privées de maisons, sont restées dans les écoles, maisons de retraite et autres centres transformés en refuges de fortune. Sur les 140 personnes accueillies le 27 février dans le centre où Sô Kanno travaille, il n’y en a plus qu’une vingtaine aujourd’hui. « Du bébé à la personne âgée de 90 ans, nous avons toutes les générations. Nous nous relayons et sommes là vingt-quatre heures sur vingt-quatre pour les soutenir et distribuer des bentos matin, midi et soir aux personnes du refuge, mais aussi à l’ensemble des personnes concernées par les ordres d’évacuation. » Pour l’heure, « on ne sait pas quand les dernières victimes pourront rentrer chez elles ».
Au Japon, les gens sont « préparés aux séismes », explique Sho Tadano, fonctionnaire âgé de 39 ans qui œuvre dans le centre de mobilisation des volontaires et de soutien aux victimes du feu d’Ōfunato. Mais pour l’incendie, « les signaux et les repères sont différents : à quel moment faut-il s’inquiéter et quitter sa maison ? Où se déplacent les flammes ? Les gens étaient un peu perdus ». Heureusement, « le bouche-à-oreille a bien fonctionné : l’information a circulé rapidement et les secours ont pu se mettre en place sans souci majeur ».
Mais la prévention va être nécessaire dans les années à venir. Incendies, sécheresse, records de chaleur et de tempêtes de neige, inondations : le Japon est de plus en plus confronté à des phénomènes de climat extrême : cet hiver, alors que le nord-est du Japon luttait contre les flammes, la partie ouest de la région, côté mer du Japon, et l’île d’Hokkaidō affrontaient des tempêtes et chutes de neige record qui ont interrompu les transports pendant des jours.
Gestion de catastrophes
« Nous devons étudier notre manière de réagir aux grands feux de forêt sur la base des enseignements tirés de cet incendie », a annoncé mercredi le premier ministre japonais, Shigeru Ishiba, alors qu’il rencontrait le maire d’Ōfunato et après avoir classé le feu en « catastrophe d’extrême gravité ».
Particulièrement sensible aux questions de prévention et de protection de la population en cas de catastrophe naturelle, Shigeru Ishiba, qui s’était engagé lors de son élection à créer une agence de gestion des catastrophes, a tenu sa promesse et a annoncé son ouverture d’ici 2026. Le groupe consultatif gouvernemental, composé de vingt experts en gestion des catastrophes et de représentants d’organisations bénévoles, a tenu sa première réunion le 30 janvier, rapporte le quotidien Asahi.
Le groupe se concentrera sur l’amélioration de l’aide aux personnes évacuées, le renforcement de la coopération entre le gouvernement et le secteur privé, l’amélioration de l’éducation aux catastrophes et l’exploitation des technologies numériques. « Nous devons améliorer en profondeur les capacités de gestion des catastrophes de notre pays tout entier », a déclaré Ryosei Akazawa, ministre chargé du projet, lors de la réunion.
« Il faut commencer à se préparer, confirme Yusuke Yokoyama, expert en climat et professeur à l’Institut de recherches sur l’atmosphère et l’océan de l’université de Tokyo. Au Japon, la population est sensibilisée à la prévention en cas de séisme ou d’inondation, et les autorités savent réagir rapidement dans ces cas de figure. Mais aujourd’hui les feux de forêt doivent aussi faire partie de leurs préoccupations. »
Selon Yusuke Yokoyama, les facteurs qui font que le feu d’Ōfunato a pris cette ampleur « inhabituelle » sont multiples : « La ville a connu cet hiver une période de sécheresse majeure, à laquelle se sont ajoutés des vents violents. En été, le vent vient du sud tandis qu’en hiver, il vient du nord, de la Sibérie : il est très sec. » En février 2025, le taux de précipitations d’Ōfunato était de 2,5 millimètres, battant le précédent record de 4,4 millimètres pour ce mois, enregistré en 1967, et se situant bien en deçà de la moyenne de 41 millimètres.
Quatorze ans après le tsunami
Le climat humide japonais est soumis au « système de la mousson d’Asie de l’Est qui se forme sous l’influence de la terre et de la mer qui se réchauffent à des rythmes différents. La masse d’air maritime chaud forme un front de haute pression au-dessus de la mer, tandis qu’il y a un front de basse pression plus froid au-dessus de la terre », poursuit l’expert. La mousson d’été chaude et pluvieuse, associée à une mousson d’hiver froide et sèche, répond aux différences de température entre le continent et l’océan. « La côte est du Japon, qui fait face au Pacifique, est plus exposée aux vents et courants. »
Autre facteur, « le paysage du Nord-Est se compose de forêts très escarpées qui font face à l’océan, ce sont donc des terrains particulièrement difficiles d’accès pour les secours qui peinent à lutter contre les flammes ». Dans un Japon où le relief se compose à 70 % de massifs forestiers, les feux de forêt s’annoncent comme un défi mais, selon l’expert, ce sont les inondations qui sont surtout à craindre dans les années à venir. « 70 % de la population du Japon, celle de Tokyo et d’Osaka incluse, vit dans les plaines » : sur des terres qui sont donc plus exposées à ce type de sinistres.
Mardi 11 mars, alors que retentit à 14 h 46 la sirène qui commémore les quatorze ans du séisme de 2011, les hélicoptères et camions de pompiers continuent de quadriller la zone afin de s’assurer que le feu ne reprenne pas. Hasard malheureux du calendrier, il a fallu que le feu démarre dans le Tohoku pendant ce moment de deuil et de mémoire nationale.
À Ōfunato, Yumi H., 72 ans, observe les dégâts dans la zone portuaire de Sanriku-chô Ryori où un ensemble de bâtiments a entièrement brûlé. Comme chaque 11 mars depuis 2011, elle porte le blouson qu’on lui a donné, il y a quatorze ans, lorsqu’elle s’est réfugiée après le grand tremblement de terre du Tohoku. La ville où elle vit avec son mari, Rikuzentakata, avait été entièrement balayée par le tsunami et en garde des stigmates.
Cette catastrophe qui avait fait près de 20 000 morts et disparu·es est une tragédie dont le Japon garde toujours de vives blessures. Mais si la septuagénaire est à Ōfunato ce mardi, c’est pour « voir de ses propres yeux » le paysage défiguré par le feu : sur la côte du Pacifique qu’Ōfunato et Rikuzentakata partagent, ce n’est pas la mer qui a grondé, cette fois, mais la montagne.
« Pourquoi ? », demande-t-elle. Interviewé par la NHK, un homme âgé de 45 ans confie que sa maison, réduite en cendres par le brasier, avait été reconstruite dans les hauteurs de la ville, après que son précédent logement eut été rasé par le tsunami de 2011. « Je n’en veux pas au destin », déclare-t-il. Pour lui, pas question de partir : « Mes enfants veulent rester ici. Je veux regarder vers l’avenir et reconstruire ma maison là où nous étions. »