Une première depuis plusieurs décennies, durant lesquelles le secteur a été traumatisé par la catastrophe de Fukushima au Japon, en 2011. Ce mardi, la Banque mondiale (BM) a annoncé qu’elle allait davantage soutenir des projets de production d’énergie à partir du nucléaire. Une annonce faite au personnel par un e-mail interne d’Ajay Banga, président de l’institution, que l’AFP a pu consulter.
Cela passera par un soutien « aux efforts de prolongement des réacteurs existants dans les pays qui en ont déjà, à l’amélioration des réseaux et infrastructures. Nous allons également travailler à l’accélération du potentiel des petits réacteurs modulaires (PRM) qui offriront une option viable à plus de pays à long terme », a détaillé dans son courriel le dirigeant.
Pour y parvenir, la BM va s’engager dans un « partenariat » avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Objectif de fond en arrière-plan : connecter aux réseaux électriques plus de 300 millions de personnes durant la prochaine décennie, l’institution y voyant une nécessité pour lutter contre la pauvreté, sa première mission.
Lobbying politique
Cette annonce n’étonne pas Teva Meyer, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) : « En réalité, dans les coulisses, il y avait depuis deux ans des discussions entre la BM, ses États actionnaires et de nombreuses banques multilatérales de développement dans le monde. » Et le spécialiste de géopolitique du nucléaire de confirmer qu’il y a eu un « lobbying politique très clair » de la part d’États dotés d’énergie nucléaire, qui soit « veulent en vendre plus au monde entier » ou convoitent des progrès technologiques qui leur échappent.
« Je pense en premier aux États-Unis, premier actionnaire de la BM. Mais aussi à la Corée du Sud, très active sur cette industrie, la France, la Pologne ou la République tchèque », liste l’expert. Quant à l’Allemagne, sorti du nucléaire depuis le drame de Fukushima, « il semblerait qu’elle ait levé son blocage », le nouveau chancelier, Friedrich Merz, étant « un peu plus ouvert » à l’atome civil, par rapport à ses prédécesseurs. Le chercheur se montre clair sur cette autre question : « L’annonce de la BM ne signifie pas un désaveu des énergies renouvelables. Celles-ci sont la deuxième jambe du mix énergétique soutenue par l’institution. »
Surtout un message aux banques
Une information clé n’a pas été dévoilée par le patron de la BM dans son courrier : les montants alloués aux futurs projets. « On peut le déplorer, mais en fait, cette annonce est avant tout un soutien discursif : c’est un message clair et fort aux banques du monde entier, incitées à davantage financer ce secteur », analyse Teva Meyer. Pourquoi une telle nécessité ? Le nucléaire civil est en fait un secteur très difficile à financer car considéré comme « très risqué financièrement » par les banques, « en général frileuses sur ce domaine », rappelle l’expert.
En effet, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), pour financer une centrale, le coût du capital nécessaire est quasi aussi élevé que le coût de l’infrastructure elle-même. Conséquence : pour couvrir le risque, les banques et fonds proposent en général des taux d’intérêt très élevés. « Sur certains projets cela peut monter à 50 % ! », pointe le chercheur associé à l’Iris.
En clair, selon lui, en faisant cette annonce, la Banque mondiale encourage les banques multilatérales de développement, comme la BEI en Europe, la Banque africaine de développement, ou d’autres, à davantage garantir les futurs « deals » financiers de centrales.
Certaines grosses entreprises vont en profiter
Derrière, plusieurs grosses firmes pourraient en profiter, anticipe le chercheur de l’Iris. Tout particulièrement Westinghouse, le leader du nucléaire américain, très soutenu par l’administration Trump. « Ce n’est pas d’aujourd’hui, Donald Trump soutient cette industrie, avec même une cellule dédiée à la Maison-Blanche », nous informe Teva Meyer. La Corée du Sud aussi, dont près de 30 % du mix énergétique est nourri par l’atome. Korea Hydro & Nuclear Power (KHNP), son entreprise numéro un, est d’ailleurs très active pour vendre ses services à l’étranger.
Son dernier gros contrat en date a été conclu avec la République tchèque. Au grand dam du français EDF, qui était dans la course. Mais d’après notre expert, ce vent favorable soufflé par la BM pourra aussi profiter à la France, notamment à Framatome.
Reste un paramètre clé pour que cela se concrétise : « Pour plus attirer les banques, il faut que les pays et entreprises proposent des technologies de centrales bien éprouvées, car elles présentent moins de risques techniques et donc financiers. Les nouveaux réacteurs innovants auront, a priori, plus de mal à obtenir des coûts de financement raisonnable. »
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