« Une position unique », à la convergence de l’Europe, de l’Afrique, du Moyen-Orient et de l’Asie, « qui lui donne un avantage compétitif considérable », la Méditerranée abrite différents modèles de ports qui font preuve d’une « capacité d’adaptation remarquable » lors des crises, comme celle qui a vu l’an dernier le flux des conteneurs se reconfigurer en mer Rouge, dresse Pierre Leonidas. Qu’il s’agisse de grands ports à transbordement, comme Tanger Med ou Barcelone, généralistes, comme Fos-sur-Mer, ou de taille moyenne, à l’instar de Sète et Livourne, ces lieux sont aussi des laboratoires de la relation maritime entre l’Europe et l’Afrique, estime le directeur adjoint en charge des affaires publiques et institutionnelles du Cluster maritime français.
Levier de compétitivité
Car au-delà des liens commerciaux, les ports méditerranéens se distinguent par une identité particulière, celle d’une histoire et d’un destin commun, abonde Christophe Castaner, président du conseil de surveillance du Port de Marseille-Fos. « Nous ne sommes pas uniquement une plateforme portuaire, mais également un levier de compétitivité industrielle », complète Mehdi Tazi-Riffi, Pdg du port de Tanger Med, un hub mondial classé troisième selon l’indice de performance des ports à conteneur de S&P, qui accueille une centaine d’entreprises, françaises, allemandes et japonaises, entre autres.
« La bataille des ports se gagne à terre, puisqu’un port est efficace quand il arrive à maîtriser la connectivité terrestre et à créer un hinterland qu’il va pouvoir agrandir, relier avec des moyens durables afin d’accueillir sur son territoire l’industrie et la logistique pour créer un écosystème efficace grâce à la proximité du maritime », observe pour sa part Christine Cabau Woehrel, vice-présidente en charge des actifs et opérations chez CMA CGM (actionnaire de La Tribune, NDLR) et qui estime que pour devenir un grand port, il faut donc « une logique de bâtisseur visant à créer un écosystème qui va s’auto-alimenter ». Bref, être un « aménageur du territoire » créateur de valeur.
Le défi de la transition
Avec, en filigrane, le défi de la décarbonation. Désormais, « la transition énergétique et la transformation digitale sont deux dénominateurs communs qui réunissent les ports méditerranéens pour apporter de la compétitivité industrielle », considère Mehdi Tazi-Riffi. C’est pourquoi « l’ensemble du complexe Tanger Med fonctionne depuis la fin 2024 à l’électricité verte à 100 % », affirme-t-il. Et de mettre en avant « un programme ambitieux en cours de déploiement, de plus de 200 de millions d’euros sur trois ans, pour généraliser l’ocean power supply en permettant aux navires de se connecter directement à l’électricité ».
« Nous vivons la troisième révolution industrielle, celle de la décarbonation : les ports ont du foncier disponible pour la production d’énergies vertes », renchérit Christophe Castaner. Cela s’applique aussi à l’électrification à quai, puisque « nous avons un plan d’investissement qui vient d’être porté à 220 millions d’euros » pour renforcer la capacité à recharger les bateaux et naviguer en électrique jusqu’en Corse. Les nouveaux carburants, dont l’ammoniac vert, de même que l’hydrogène, sont autant d’opportunités à saisir. « Nous devons préparer ces investissements et être prêts à les accueillir – avec même un temps d’avance », souligne l’ancien ministre français de l’Intérieur.
Manque de capacités portuaires
En somme, les ports méditerranéens, en tant que hubs de marchandises, de data – transportée par des câbles sous-marins – et de passagers, font face à des enjeux pluriels pour devenir des plaques tournantes d’avenir. Celui des transitions, énergétique comme numérique. Et celui, aussi, de la guerre commerciale actuelle. « Quand l’économie mondiale est bousculée, les ports, certes, peuvent être affaiblis. Mais face au désordre dans lequel nous sommes aujourd’hui, nos ports, compte tenu de la relation entre l’Afrique et l’Europe, via le Maroc, ont une opportunité à saisir », fait valoir Christophe Castaner.
Reste que le secteur est particulièrement concurrentiel. « Aujourd’hui, la concurrence est très forte dans la mesure où dans les années à venir, il y aura un manque de capacités portuaires », analyse Christine Cabau Woehrel. Des capacités qui manquent « dans beaucoup de régions du monde, et en Méditerranée aussi. Tanger Med aujourd’hui refuse des navires », rappelle-t-elle. Tout l’enjeu pour l’armateur étant désormais d’anticiper cette problématique à travers des partenariats avec les ports pour s’assurer des capacités de transport maritime nécessaires. Et ainsi éviter les congestions qui entravent la fluidité, entraînent des retards des navires, engendrent des coûts supplémentaires et font également, pour rattraper le temps… émettre plus de CO2.