Le « double standard » d’un Occident qui renie et saccage les valeurs qu’il proclame à la face du monde a commencé il y a quatre-vingts ans, quand la victoire contre le nazisme en Europe fut entachée par des massacres coloniaux en Algérie, dans le Constantinois. Ce rappel de l’autre 8 mai 1945 est le point de départ de notre conversation avec l’historienne du fait colonial Malika Rahal, directrice de l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP).
« Il n’y a d’histoire qu’au présent », aimait dire l’historien Marc Bloch. Et c’est ce que nous confirme Malika Rahal à l’heure de la guerre d’Israël à Gaza, en appelant la France à ne pas se contenter de gestes mémoriels, notamment sur les crimes commis pendant la guerre d’Algérie, mais à se déclarer enfin, résolument, anticolonialiste. Le colonialisme, nous explique-t-elle, « n’est pas une affaire du passé mais une affaire du présent ».
Dans Mille histoires diraient la mienne (Éditions EHESS), elle revient sur son itinéraire intellectuel au carrefour de trois héritages et nationalités, la France où elle est née à Toulouse puis a grandi dans le Lauragais, l’Algérie de son père qui reste son pays de cœur, les États-Unis de sa mère, ceux des grandes plaines du Nebraska. Un cheminement multiculturel et internationaliste dont l’Algérie, avec sa révolution anticolonialiste, est le fil d’Ariane, jusqu’aux espérances du Hirak de 2019 qui reprenait le mot d’ordre de la libération de 1962 : « Un seul héros, le peuple ».
Autrice d’un remarquable Algérie 1962 (La Découverte), histoire populaire de l’indépendance algérienne, elle mène, avec son collègue Fabrice Riceputi, des recherches entêtées sur les disparus de la mal nommée « bataille d’Alger » en 1957, dont témoigne le site 1000autres.org et cette enquête pour Mediapart. De fait, « disparition » pourrait être le synonyme de colonisation, aujourd’hui comme hier : effacer un peuple, détruire sa culture, le déplacer, l’expulser, le massacrer… Réalités criminelles non seulement d’hier mais hélas d’aujourd’hui auxquelles, dans notre émission, Malika Rahal objecte, tout simplement : « Ce n’est pas bien… »