Il y a quatre-vingts ans presque jour pour jour, les camps de concentration de Bergen-Belsen, Dachau, Mauthausen et Ravensbrück étaient libérés. Comment faire vivre la mémoire de ces événements, notamment en France ? D’abord en ne cessant d’en parler. Un sondage récent de Schoen Consulting pour une ONG révélait que 46 % des jeunes Français (18-29 ans) déclaraient n’avoir jamais entendu parler des mots « holocauste » ou « Shoah », et 33 % des jeunes adultes estimaient que le nombre de Juifs tués était « exagéré ».
De quoi faire tristement écho aux propos de Jean-Marie Le Pen affirmant que les chambres à gaz étaient un « point de détail » de la Seconde Guerre mondiale. Certes, la propension à l’oubli caractérise la nature humaine, mais c’est l’honneur des hommes que de ne pas insulter les chagrins et les souffrances en les minimisant ou en les enfouissant dans les tiroirs de l’Histoire. Comme le disait Elie Wiesel, « le bourreau tue toujours deux fois, la seconde fois par l’oubli ».
Les archives papier et audio accumulées par le journaliste allemand Gerd Heidemann et cédées à l’université américaine Stanford, que nous publions ce 4 mai, constituent un précieux trésor pour éclairer le public. C’est le cas des quatorze heures d’entretien que ce chasseur de nazis avait eues avec Klaus Barbie, le sinistre chef de la Gestapo à Lyon, responsable de la déportation de 14 .000 personnes juives et résistantes dans des camps de concentration.
L’histoire de ce tortionnaire, surnommé le « boucher de Lyon », est connue. Son arrestation et son extradition en 1983 ne purent se faire qu’avec la double insistance de Robert Badinter, ministre de la Justice à l’époque, et de Régis Debray, conseiller de François Mitterrand qu’il finira par convaincre. Le président socialiste était plus que réservé quant à la perspective d’un procès. Klaus Barbie fut donc ramené en France et emprisonné symboliquement à la prison de Montluc, où il fut incarcéré brièvement pour être confronté, quarante ans après ses crimes, aux ombres de ceux qu’il avait martyrisés. En 1987, la France condamnait pour la première fois ce responsable nazi à la prison à perpétuité pour crime contre l’humanité.
L’intelligence et la clairvoyance du garde des Sceaux de François Mitterrand tiennent aussi à sa décision de permettre de filmer ce procès, grâce à une loi votée en 1985. La diffusion récente par France Télévisions de ces moments d’histoire que furent les procès Barbie, Papon et Touvier se révèle grandement utile en 2025, quand les actes et propos antisémites, les thèses révisionnistes et la propagation de discours fascisants sont hélas bien présents. Simone Veil considérait que le seul devoir, c’est d’enseigner et de transmettre. La divulgation de ces archives permet assurément cette transmission mais elle doit s’accompagner de gestes forts, à l’image du discours prononcé par Jacques Chirac le 16 juillet 1995 à propos de la rafle du Vél’ d’Hiv’.
Il y a trente ans, il reconnaissait la responsabilité de la France dans la déportation et l’extermination de Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Ne jamais cesser de se confronter à la vérité, tel est notre devoir à tous. Dire, écrire, raconter mais également entendre, lire et voir l’horreur est d’autant plus nécessaire que, comme l’écrivait La Rochefoucauld, « on n’oublie jamais mieux les choses que quand on s’est lassé d’en parler ».
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Bruno Jeudy