“Les insultes, c’est comme dire bonjour” : des agents pénitentiaires réagissent aux attaques à leur encontre

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“Les insultes, c’est comme dire bonjour” : des agents pénitentiaires réagissent aux attaques à leur encontre





















Une série d’attaques coordonnées contre des centres pénitentiaires ont eu lieu entre le 14 et le 16 avril 2025.
Benoit Durand / Hans Lucas / Hans Lucas via AFP

Menaces imminentes

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Les centres pénitentiaires sont la cible de nombreuses attaques commises de façon simultanée par des auteurs encore inconnus. Le dernier en date vise une agente pénitentiaire directement, à son domicile. Face à de tels actes, ces travailleurs vivent dans l’incompréhension et la stupéfaction, quand ils ne craignent pas pour leur vie, d’après des témoignages recueillis par « Marianne ».

« Aujourd’hui on nous pousse à démissionner parce qu’on n’est pas en sécurité. Tous les jours, on se demande si on va rentrer le soir. » Ces propos d’un agent pénitentiaire confiés à Marianne à la suite d’une multitude d’attaques commises de façon simultanée contre des centres de détentions en France ces derniers jours, illustrent le moral des troupes.

Dans la nuit du 16 au 17 avril, une agente pénitentiaire domiciliée à Amiens en a été la cible directe : sa boîte aux lettres et son véhicule personnel ont été dégradés. Cet acte de vandalisme s’ajoute aux nombreux incendies de voitures et aux tirs de kalachnikov contre la porte de la prison de Toulon perpétrés les heures précédentes.

Bien que le groupement « Droit des prisonniers français » soit soupçonné de tels actes, en raison de l’inscription du sigle « DDPF » sur les lieux des attaques et la diffusion de menaces sur Telegram, rien n’est sûr pour l’heure. Une enquête du parquet national antiterroriste (Pnat) est en cours pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, tentative d’assassinat et dégradation en bande organisée en relation avec une entreprise terroriste. Dans ce contexte, les tensions montent, les inquiétudes des agents pénitentiaires aussi. Ils sont plusieurs à réagir aux attaques auprès de Marianne.

Réminiscence

Léon (le prénom a été modifié) est agent d’extraction judiciaire depuis 2018. Son rôle consiste à conduire les détenus, à la demande de l’autorité judiciaire, en dehors de l’établissement pénitentiaire. Présent sur la voie publique en permanence, son visage est connu des « délinquants ». Une source d’inquiétude pour le professionnel : « On est très exposés : au tribunal les détenus, leur famille et leurs amis nous identifient. Les délibérations sont des moments très tendus. On me reconnaît parfois dans la rue et je me fais insulter. Heureusement ce n’est encore jamais allé plus loin. »

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Très vite, son métier l’a amené à développer des comportements de vigilance : « C’est inconscient, mais depuis que je fais ce métier je me mets toujours près d’une issue de secours au restaurant. Et le soir je vérifie que je ne suis pas suivi. » Les attaques récentes n’ont évidemment pas calmé la paranoïa de l’agent et de ses coéquipiers. S’exprimant au nom de son équipe, il partage : « On a tous le même discours : on a de la chance, on arrive à rester lié. On fait des sorties entre nous pour garder notre lien sinon on craque vite. On ne veut pas inquiéter nos familles alors on reste dans une bulle. »

Outre le sentiment de peur inhérent au métier, les attaques récentes ont ravivé des traumatismes passés. Léon raconte : « J’en ai déjà vécu des attaques : en 2018 lors des grèves puis en 2023 avec les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel et plus récemment la perte de deux collègues au péage d’Incarville [N.D.L.R. : tués lors de l’évasion de Mohamed Amra en mai 2024]. » Pour rappel, en 2018, une agression de trois surveillants pénitentiaires par un détenu avait engendré un mouvement de protestation sans précédent de la part d’agents pénitentiaires paralysant les prisons françaises pendant trois semaines.

Sidération

Une montée en tension de longue date donc, dans un quotidien ponctué d’insultes et violences. « Les insultes c’est comme dire “bonjour” », confirme Léon. Ici, le choc est d’autant plus grand que la simultanéité des attaques révèle une organisation d’ampleur de la part des malfaiteurs. Dominique Gombert, agent pénitentiaire et secrétaire général adjoint de FO Justice, s’inquiète : « On a atteint un degré d’intimidation qui n’est pas normal. En trente ans de carrière, ce sont les premières attaques coordonnées à laquelle je fais face. » Outre la sécurité des agents, il relève l’attaque symbolique : « On touche à la République, aux institutions. »

Prenant la parole au nom de ses collègues, le représentant syndical pointe le sentiment de stupéfaction générale : « On vit difficilement cette situation. On a d’abord pensé à un acte isolé puis c’est monté crescendo. C’est une escalade qui inquiète beaucoup de personnels. » Damien Rameau, surveillant pénitentiaire depuis quatre ans et secrétaire national du SNEPAP-FSU, corrobore : « On a déjà eu des cas d’antécédents où les menaces étaient claires, sans qu’ils soient médiatisés. Là, on est encore dans l’incompréhension. On en a marre de se faire agresser sans savoir pourquoi. La peur est due au fait qu’on commence à s’en prendre au domicile des agents. »

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Pour l’heure, si les auteurs de ces attaques n’ont pas été identifiés, les agents interrogés soupçonnent les narcotrafiquants. Léon analyse : « Je pense que le projet de Gérald Darmanin [N.D.L.R. : ministre de la Justice] d’ouvrir des centres pénitentiaires joue. C’est un coup dans leur business, ils se vengent. C’est fini le centre aéré : pas de téléphone portable, de relations sexuelles ou autres. Rien. Ce sera la vraie prison. » L’agent d’extraction judiciaire fait référence au projet d’ouverture de centres pénitentiaires de haute sécurité à Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et Condé-sur-Sarthe (Orne) d’ici fin 2025.

Ce à quoi Dominique Gombert renchérit : « C’est une supposition, mais ces attaques sont le signe qu’avec la loi narcotrafic on a touché ces personnages. Si on ne les gênait pas ils n’auraient pas fait ça. C’est le signe qu’il faut continuer. » Cette loi, adoptée en première lecture le 1er avril dernier, prévoit un renforcement de la lutte contre le narcobanditisme par, notamment, la prolongation de la garde à vue et la création d’un parquet national anticriminalité organisée (Pnaco).

Armes de guerre

Par ailleurs, les témoignages des agents pénitentiaires mettent en lumière une réalité dénoncée depuis plusieurs années : le manque d’effectifs et de matériels. À ce sujet, Léon s’alarme : « Il ne faut pas se leurrer, c’est fini les armes de poing [N.D.L.R. : armes que l’on peut tenir dans une main, comme un pistolet]. Demain on fera face à des armes de guerre. Sauf qu’on a que des gilets légers et quelques gilets lourds qui ont plus de dix ans. Ça protège des balles de 9 mm et des couteaux mais pas plus. »

Pourtant un accord visant à renforcer la sécurité des agents avait été conclu entre l’ancien garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, et les organisations syndicales à la suite de l’évasion de Mohamed Amra en 2024. Parmi les promesses : les véhicules devaient être sécurisés et les centres devaient être dotés de dispositifs antidrogue et de matériel modernisé. Un an plus tard, Léon déplore : « On a signé des papiers avec le sang de nos collègues et rien n’a été fait. »

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En réponse aux événements récents, Gérald Darmanin s’est entretenu avec les établissements pénitentiaires afin de prendre « des décisions d’urgence pour la protection des collègues et pour leurs biens », d’après Damien Rameau. Par « mesures d’urgence » il faut comprendre la mise en place de rondes de surveillance, l’interdiction de porter l’uniforme en dehors de l’établissement pénitentiaire et un lieu sécurisé pour les véhicules des agents. Des décisions certainement insuffisantes selon Dominique Gombert puisque, de toute manière, « c’est très facile de les attendre à la sortie de l’établissement ».

Si les représentants syndicaux interrogés insistent sur la force du collectif des agents pénitentiaires face aux menaces, Léon libère la parole : « Beaucoup d’agents envisagent de quitter la pénitentiaire. Déjà avec l’affaire Amra certains sont partis. Ils avaient des œillères, ils pensaient que ça n’arriverait pas, mais si. Ils se sont rendu compte que ça aurait pu être eux ou leur famille. » Défaitiste, il résume : « Si rien n’est fait aujourd’hui on va droit dans le mur. On n’en a rien à faire de la sécurité des agents. Résultat, on va au travail la boule au ventre. »


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