C’est presque devenu un réflexe, un rituel. Lorsqu’elle sort de chez elle, Leticia ne peut s’empêcher de regarder par-dessus son épaule. « L’autre jour, des agents de l’immigration sont arrivés dans un des hôtels où je fais le ménage, confie cette Mexicaine, arrivée il y a un an à Pasadena, une ville de la banlieue de Los Angeles, en quête d’une « vie meilleure ». Ils ont fait subir un interrogatoire à mes collègues. On a tous très peur qu’ils reviennent. »
Comme plus de 800 000 habitants de la Cité des anges en situation irrégulière, cette brune au regard volontaire vit la peur au ventre depuis que l’administration Trump a accéléré les expulsions de sans-papiers, ciblant début juin la Californie. Dans la région de Los Angeles, plusieurs centaines de personnes ont été arrêtées en une semaine, selon la Maison-Blanche. « Aller travailler, faire ses courses… Chaque lieu du quotidien est désormais un terrain miné », poursuit Leticia, assise dans la cuisine du centre pour travailleurs journaliers où elle vient pointer tous les matins.
Stations de lavage de voitures, halls d’hôtels, usines textiles, centres commerciaux, bibliothèques, sorties d’écoles… Depuis une semaine, la police migratoire – la « Migra » comme l’appellent les immigrés latinos – est partout à Los Angeles. Sur les réseaux sociaux, les habitants ont partagé des centaines de vidéos montrant des agents fédéraux de l’immigration (ICE) surgir à bord de vans blancs ou de voitures banalisées, et arrêter, souvent sans explication et de manière brutale, des sans-papiers sous le regard de proches ou de passants sidérés.
« Ils ciblent notamment les travailleurs journaliers sur leur lieu de travail, souligne Palmira Figueroa, l’une des responsables du National day laborer organizing network, un réseau associatif qui soutient les journaliers. Or, ces derniers sont particulièrement vulnérables à ces descentes. Leur statut précaire fait qu’ils ne peuvent pas se permettre de cesser le travail pour se cacher. »
Un travailleur sur dix
Jardiniers, agents d’entretien, travailleurs agricoles… La quatrième puissance économique mondiale qu’est la Californie s’appuie massivement sur ces immigrés en situation irrégulière, dont la majorité vit et travaille dans le pays depuis plus d’une décennie. À L.A., plus d’un travailleur sur dix est sans-papier.
Le 6 juin dernier, c’est l’arrestation de vingt-cinq ouvriers en bâtiment venus chercher du travail sur le parking d’un magasin de bricolage à Paramount, une banlieue de la ville, qui a mis le feu aux poudres. Cette descente a déclenché près d’une semaine de manifestations et d’émeutes, localisées principalement dans le centre-ville.
Je compte rester dans un endroit où l’on peut quitter facilement les lieux en cas de problème.
Des tensions aggravées par le déploiement de milliers de gardes nationaux et de centaines de Marines, envoyés par l’administration Trump. Jeudi 12 juin, un juge fédéral a estimé que cette décision était illégale. La Maison-Blanche a parlé d’une insupportable ingérence de la justice tandis que le gouverneur démocrate de Californie Gavin Newson, nouvelle bête noire de Donald Trump, a crié victoire.
Depuis l’instauration d’un couvre-feu le 10 juin, le calme est partiellement revenu à Los Angeles. Mais dans le centre-ville, la tension reste palpable. Dans le quartier de Little Tokyo, des habitants équipés de chiffons et de seaux s’activent pour faire disparaître des centaines de graffitis anti-ICE, tagués par des manifestants. Plus loin, des commerçants ont pris soin d’installer de larges panneaux en bois devant leurs vitrines en prévision de nouveaux actes de vandalisme qui pourraient survenir lors des nouvelles manifestations anti-Trump massives, prévues ce weekend.
À quelques kilomètres, dans le quartier de Westwood, le déploiement des premiers Marines à l’intérieur de la ville suscite déjà l’émotion : à leur arrivée vendredi, ils ont brièvement détenu un vétéran américain d’origine portugo-angolaise, entré dans une zone à l’accès limité d’un bâtiment fédéral gardé par les troupes d’élite.
Face à cette lourde présence militaire, de nombreux immigrés ont fait le choix d’éviter les rassemblements du week-end. Kenia Alcocer, une militante mexicaine sans-papier qui vit à Los Angeles depuis près de quarante ans, s’y rendra mais en prenant des précautions. « Je compte rester dans un endroit où l’on peut quitter facilement les lieux en cas de problème », dit-elle.
La jeune femme dont les enfants sont Américains dit se préparer tous les jours à l’éventualité d’une arrestation. « J’ai préparé une procuration pour déléguer mon autorité parentale à ma sœur, confie-t-elle. Au cas où je ne reviendrais pas à la maison. »
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Noémie Taylor-Rosner, correspondante à Los Angeles