C’est finalement un zéro de moins. Et, faute de mieux, il rassure tout le monde dans les rangs des vins et spiritueux français. Donald Trump a annoncé mercredi que les États-Unis taxeraient à hauteur de 20 % tous les produits importés de l’Union européenne. Bien loin des 200 % promis, pour ceux qui avaient bien voulu y croire, aux alcools fabriqués sur le Vieux Continent.
800 millions d’euros
Néanmoins, la Fédération des exportateurs de vins et spiritueux (FEVS) « regrette profondément cette décision (…) qui pénalise tant les exportateurs français que leurs partenaires américains ». Elle évalue le décrochage des exportations à 800 millions d’euros pour la France, le double à l’échelle européenne. « Ces taxes vont mettre en très grande difficulté notre filière, avec un risque de cessations d’activité en chaîne », alerte Anthony Brun, président de l’Union générale des viticulteurs pour l’AOC Cognac, tandis qu’à Bordeaux l’interprofession chiffre l’impact sur les exportations à « pas loin de 100 millions d’euros ». Au total, l’Union européenne a exporté pour 8 milliards d’euros d’alcools, dont plus de 5 milliards de vin, aux États-Unis. La France en représente environ la moitié.
Pourtant, c’est aussi un soulagement qui transparaît chez les professionnels.
« On s’attendait à davantage que 20 % et on craignait que les vins et spiritueux français soient stigmatisés, ce qui n’est pas le cas », respire Jacques-Olivier Pesme, le président de la Wine origine alliances, qui fédère 35 régions viticoles de douze pays du monde. « Mais cela reste une mauvaise nouvelle puisque les États-Unis sont le premier marché mondial en valeur. »
Sortir les vins et spiritueux de la bataille tarifaire
Sans attendre les autres secteurs économiques, les exportateurs d’alcools sont décidés à jouer leur propre partition, en tentant de faire annuler pour eux seuls les droits de douane. « Avec de nombreuses organisations sectorielles des deux côtés de l’Atlantique, nous appelons dans un esprit gagnant-gagnant à une négociation entre l’Europe et les États-Unis permettant d’établir une tarification de 0 % sur le vin américain en Europe et sur les vins européens aux États-Unis, et de revenir à la taxation à 0 % sur les spiritueux des deux côtés de l’Atlantique, qui prévalait depuis 30 ans », enjoint Florent Morillon, le président du Bureau national interprofessionnel du cognac.
Depuis un accord UE-États-Unis de 1997, les spiritueux étaient en effet exonérés de droits douaniers de part et d’autre de l’Atlantique. Donald Trump avait déjà imposé 25 % de surtaxes en 2019-2020 à certains vins de quatre pays européens, dont la France, dans le cadre d’un conflit sur l’aéronautique. « On a encore quelques jours pour discuter, essayer de trouver des solutions s’inscrivant dans un agenda positif », invite Nicolas Ozanam, le délégué général de la FEVS.
Un jeu perdant-perdant
« Les régions viticoles américaines sont solidaires de notre combat auprès de l’Organisation mondiale du commerce pour le respect des appellations et pour la libéralisation du commerce des vins et spiritueux pour revenir au zéro taxe », confirme Jacques-Olivier Pesme. « Ces régions exportent peu mais leurs canaux de distribution dépendent beaucoup des vins étrangers. » Selon la FEVS, qui cite le cabinet américain John Dunham & associates, l’impact cumulé sur les rentrées fiscales, les ventes, les emplois et les salaires aux États-Unis d’une taxation de 20 % des vins et spiritueux importés approcherait ainsi un manque à gagner de trois milliards de dollars.
Dans ce jeu perdant-perdant de sanctions réciproques, Donald Trump cherche à diviser à l’intérieur des régions du monde et à convaincre les grandes entreprises de venir produire directement sur le sol étasunien. Une délocalisation impossible pour les cognac, armagnac ou vins d’appellation, tous liés à leurs terroirs. La filière n’a donc d’autre choix que de négocier, et ce peut-être au détriment d’autres secteurs. L’aéronautique par exemple, qui ne s’attendait pas à de telles taxes, voudra aussi passer à travers les mailles.
A très court terme, la CCI Bordeaux Gironde, qui coorganise le Salon Vinexpo America en Floride les 7 et 8 mai prochain, s’attend paradoxalement à une bonne édition : « Les négociations entre les administrations vont débuter et on voit que les Américains ne sont pas prêts. Les acheteurs devraient donc procéder à des surstocks de précaution avant l’entrée en vigueur des nouveaux tarifs », note son président Patrick Seguin. La suite dépendra des volte-face de Donald Trump.
