Liem Hoang-Ngoc : “Le nouveau plan d’austérité de 40 milliards est une erreur majeure de politique macroéconomique”

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Liem Hoang-Ngoc : “Le nouveau plan d’austérité de 40 milliards est une erreur majeure de politique macroéconomique”



















« Le nouveau plan d’austérité de 40 milliards d’euros annoncé par François Bayrou pour 2026 représente une erreur majeure de politique macroéconomique », estime Liem Hoang-Ngoc.
JULIEN DE ROSA/POOL/AFP

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Dans cette tribune, l’économiste et ancien député européen Liem Hoang-Ngoc revient sur les récentes annonces budgétaires de François Bayrou qui entend trouver 40 milliards d’euros d’économies pour le budget 2026. « Une erreur majeure de politique macroéconomique », estime le maître de conférences à l’Université de Paris 1 qui appelle à « sortir du cercle vicieux de l’austérité ».

Pour préparer les esprits à la douloureuse du budget 2026, le Premier ministre ressasse le diagnostic « objectif » martelé par la doxa : la France « manque de moyens » pour financer ses politiques publiques parce qu’elle « ne produit pas assez et ne travaille pas assez » et « dépense trop par rapport à ses recettes ». Augmenter les impôts et recourir à l’emprunt, comme le préconise la gauche, relèverait de « solutions de facilité ». Pour stimuler l’offre, il faut au contraire, dit-il, éviter de s’endetter, alléger la pression fiscale pour favoriser l’investissement, allonger la durée du travail et inciter les chômeurs et les seniors à travailler.

Le nouveau plan d’austérité de 40 milliards d’euros annoncé par François Bayrou pour 2026 représente pourtant une erreur majeure de politique macroéconomique. Alors que les économies de 50 milliards prévues en 2025 jouent déjà contre la croissance à l’heure où la conjoncture mondiale se retourne, accentuer l’austérité fera plonger l’économie française vers la récession. Contrairement à l’effet recherché, le taux d’endettement public augmentera car les recettes fiscales escomptées feront défaut.

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La Banque de France prévoit désormais une croissance limitée à 0,7 %, tandis que l’OFCE l’estime à 0,5 % en 2025, au lieu des 0,9 % prévus dans la loi de finances, bien en deçà du taux de croissance potentiel de l’économie, de l’ordre de 1,35 %. Dans ce contexte, les réformes de l’assurance chômage et des retraites ne produiront que peu d’effet sur le taux d’emploi, car les entreprises n’ont aucune raison d’investir, de produire et d’embaucher plus, face à une demande atone.

Si la morosité persistait, elles licencieront et finiront même par détruire les capacités de production excédentaires, ce qui entamera le potentiel de croissance même de l’économie. L’objectif (déjà révisé à la hausse) d’un déficit de 5,4 % du PIB fin 2025 ne pourra pas même pas être atteint, dès lors que la croissance, plus faible que prévu, induit de moindres recettes fiscales. Celles-ci sont d’autant plus entamées que les baisses d’impôts réalisées majoritairement en faveur du capital depuis 2017 se matérialisent par un manque à gagner supplémentaire pour les finances publiques, de l’ordre de 60 milliards par an selon la Cour des comptes. Dès lors, abaisser la barre à 4,6 % en 2026 est irréaliste et va même bien au-delà de ce qu’imposent les nouveaux textes européens.

Nos dirigeants ont-ils oublié avoir, au Conseil européen, mandaté la Commission européenne pendant la crise COVID pour proposer une réforme de la gouvernance économique européenne, tirant les leçons de la décennie austéritaire 2010 ? Le projet de la Commission prévoyait de laisser sept ans au pays assujettis à une procédure de déficit excessif pour revenir dans les clous d’un déficit public de 3 % du PIB pour leur permettre d’engager les dépenses nécessaires à la transition écologique et à la défense. Il autorisait l’activation d’une clause dérogatoire au Pacte de stabilité et de croissance par pays en cas de récession.

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Il permettait enfin la mise en place de mesures anticycliques, adaptées à la conjoncture et libérant les marges de manœuvre nécessaires pour financer les priorités du moment. Ce projet fut malheureusement torpillé en 2023 par le ministre des Finances libéral allemand (depuis démissionnaire), qui obtiendra l’application dès 2024 d’un « frein budgétaire » tuant dans l’œuf la réforme en imposant aux pays assujettis à une procédure de déficit excessif de réduire annuellement leur déficit public de 0,5 point de PIB jusqu’à atteindre le critère des 3 %. À cet égard, dans sa course à l’électorat néoconservateur en vue de l’élection présidentielle de 2027, l’impétrant Bayrou est bien plus zélé que ne l’imposent les textes. Réduire le déficit de près d’1 point de PIB, de 5,4 % en 2025 à 4,6 % du PIB en 2026, va bien au-delà de ce qu’impose l’absurde « frein budgétaire » de 0,5 % par an.

La nouvelle donne commerciale internationale devrait logiquement conduire chaque bloc (états-unien, chinois et européen) à recentrer son modèle de développement autour de son marché intérieur. Au sein de l’Union européenne, il est donc temps de sortir du cercle vicieux de l’austérité, qui a tué la demande intérieure européenne, compromis les transitions nécessaires dans chaque pays, creusé les inégalités et favorisé la montée des populismes.

Les engagements publics nécessaires à la transition écologique, à la réindustrialisation et à la mise sur pieds d’une défense commune, requièrent la levée du « frein budgétaire » et la remise en chantier de la réforme de la gouvernance économique européenne. La présidente de la Commission, mais aussi certains de nos partenaires, dont l’Allemagne, se déclarent désormais prêts à y réfléchir. La Banque centrale européenne s’est elle-même adonnée depuis dix ans à l’invention de mesures non conventionnelles et anticycliques. Elle a notamment, de 2014 à 2022, déployé un quantitative easing à travers des programmes de rachat de dettes permettant aux État de financer leurs dépenses publiques à bas taux d’intérêt. Déjà présente aux réunions de l’Eurogroupe, elle devra être associée à la définition d’un policy mix approprié à chaque État, comme ce fut le cas au cours de la crise COVID.

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Le couple franco-allemand saura-t-il, dans un avenir proche, mener à bien la nécessaire refonte de la gouvernance économique européenne ? Côté français, les gouvernants actuels restent malheureusement crispés sur le dogme austéritaire et prisonnier de la guerre de sécession fiscale menée par des classes dominantes à l’encontre du financement de notre modèle social. Or, contrairement à la propagande faite par leurs communicants, celui-ci est particulièrement efficace. Les inégalités avec les très hauts revenus ont certes explosé, mais l’INSEE* montre que l’écart de niveau de vie entre les 10 % les plus riches et les 10 % les plus pauvres, de 1 à 18 avant redistribution, n’est plus que de 1 à 3 après transferts. C’est ce modèle, qui ne les empêche pourtant pas de prospérer, que les milliardaires considèrent désormais comme un fardeau dont l’État devrait les délester…

*Mathias André, Jean-Marc Germain, Michaël Sicsic, « La redistribution élargie, incluant l’ensemble des transferts monétaires et des services publics, améliore le niveau de vie de 57 % des personnes », INSEE Analyses, septembre 2023, n° 88.


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