Telmo Pinto/NurPhoto
Clap de fin
Par Valentine Daru
Publié le
Ce 18 mars, à l’aube, les 450 migrants qui occupaient la Gaîté Lyrique depuis le 10 décembre 2024 ont été délogés par les forces de l’ordre dans une atmosphère très tendue. Depuis trois mois, cette occupation est venue cristalliser les débats sur la prise en charge des mineurs isolés, au point de révéler les obsessions et tabous de chaque camp.
Fin de partie… jusqu’au prochain épisode. Vers 6 heures, dans la nuit du 17 au 18 mars, les forces de l’ordre ont procédé à l’évacuation des 450 jeunes migrants qui occupaient la Gaîté Lyrique, à grand renfort de gaz lacrymogènes et de matraques. Le gouvernement a ainsi mis fin à une occupation qui durait trois mois, illustrant parfaitement la polarisation du débat public et par la même occasion celle des médias.
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Une salle, deux ambiances. La première incarnée par les médias de la galaxie Bolloré, la menace sécuritaire plane dans et aux alentours de la Gaîté Lyrique, tandis que les associations sont accusées d’instrumentaliser les migrants au service du wokisme. En face, les médias dits progressistes se font surtout les porte-voix des revendications des occupants, minimisant les conséquences financières pour le théâtre parisien et les nuisances pouvant découler de ces mois d’occupation.
À droite, la bordélisation pour horizon
Chez Bolloré, l’occupation de la Gaîté Lyrique aura monopolisé l’antenne. Présentateurs, commentateurs et toutologues s’y sont succédés à rythme régulier pour dénoncer la manière dont cette occupation perturbe la tranquillité des riverains et commerçants du très chic 3e arrondissement parisien. Le témoignage d’Élia, propriétaire du Bistrot de la Gaîté, qui jouxte le théâtre parisien, est devenu une aubaine pour CNews et Europe 1.
Invitée du « Morandini Live » sur CNews, le 14 mars dernier, la restauratrice de 39 ans est revenue, en larmes, sur les menaces de mort et de viol que des occupants auraient proférés à son encontre, avant d’expliquer que son commerce est en faillite. « Élia on est avec vous à 200 %. Je veux vraiment qu’on s’organise, on va débarquer là-bas. Il n’y a pas de zone de non-droit en France », a immédiatement embrayé Jean-Marc Morandini.
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Les téléspectateurs de la chaîne n’ont pas non plus hésité à lancer une cagnotte de solidarité – c’est la grande mode –, dont le montant s’élève aujourd’hui à 65 265 euros, contre 10 920 euros récoltés par le syndicat SUD éducation Paris au profit du « Collectif des jeunes du parc de Belleville » (c’est son nom officiel). « Il faut rester “humain” pour ces migrants et pour vous où est l’humanité ???? », s’indigne par exemple une participante, dans une syntaxe audacieuse.
Autre thème récurrent : celui du « bouclier humain » et des associations qui ne chercheraient qu’à servir leurs propres intérêts. « J’ai passé un an et demi au ministère de l’Intérieur à expliquer que ces associations ne roulaient que pour elles-mêmes et se servent des migrants comme de la chair à canon. Demain ils changeront de combat, et abandonneront ces migrants à leur terrible sort », spécule par exemple Sabrina Agresti-Roubache, ancienne secrétaire d’État à la Ville, sur CNews le 15 mars dernier.
À gauche, pas de remise en question de l’occupation
Reportages qui dénoncent la « violation par l’État de ses propres principes », tribunes pour enjoindre les pouvoirs publics à prendre leurs responsabilités, articles d’analyse sur le vide juridique auxquels sont confrontés les mineurs isolés, … Depuis le 10 décembre, le mouvement d’occupation de la Gaîté Lyrique a bénéficié de toute la bienveillance des médias progressistes.
En trois mois d’occupation, pas de remise en question de la décision unilatérale du « collectif des jeunes du parc de Belleville » d’occuper le lieu. Peu ont d’ailleurs osé parler d’occupation « subie », alors qu’il n’y a jamais eu de discussions en amont de l’occupation entre le collectif et la direction de la Gaîté. Pas d’article sur ce journaliste de CNews « pris à partie » par les occupants lors d’un reportage sur place, le 14 mars dernier. Pas un mot, non plus, sur le déménagement hâté de StreetPress – installé à la Gaîté Lyrique depuis décembre 2023 – en raison de l’exacerbation des tensions sur place entre les occupants.
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Les reportages réalisés par Libération, L’Humanité, StreetPress, Arrêt sur Images ou Mediapart ont majoritairement porté sur la précarité des conditions de vie des occupants, voire leur « mise en danger » pour dénoncer l’inaction de l’État et sa « stratégie du pourrissement », selon Mediapart. On remarque également que les migrants qui occupent le bâtiment sont soit de « jeunes migrants » si on lit la presse de gauche, soit des « migrants » assez classiques de l’autre côté du spectre.
Si la direction du théâtre a d’ailleurs toujours réaffirmé son soutien aux revendications du collectif, plusieurs journaux ont ouvert leurs colonnes pour relayer les appels de l’établissement culturel, dans l’espoir de mettre un terme au match de ping-pong entre le ministère de l’Intérieur et la ville de Paris. Dès le 17 décembre, dans les pages de Libération, la directrice générale de la Gaîté appelait à « l’exigence morale » de la maire de Paris, Anne Hidalgo, pour trouver des solutions d’hébergement pérennes pour les mineurs. Aujourd’hui, seules des solutions d’hébergement temporaires, et en région, leur ont été trouvées.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne