La loi anti-fashion a-t-elle perdu son ambition initiale ? Alors que le texte revient ce lundi au Sénat pour être réexaminé, la réponse à cette question suscite un intense débat entre entrepreneurs de la mode durable, associations, parlementaires, gouvernement et grands acteurs du prêt-à-porter.
Dernier coup de tension en date : un amendement du gouvernement ajouté mercredi à la mouture, dans lequel il supprime la pénalité progressive infligée aux marques ayant l’empreinte environnementale la plus forte. À l’origine, cette sanction financière démarrait à 5 euros par produit en 2025, pour monter à 6 euros en 2026, puis 10 euros en 2030.
« Coquille vide »
Pour le camp des défenseurs d’une loi exigeante sur le plan environnemental, cette disposition est une clé de voûte pour lutter efficacement contre les abus des acteurs de l’ultra fast-fashion (Shein, Temu, encore H&M sont parmi les premières cibles). Du côté de l’exécutif, ce pouvoir de pénalité n’est en l’état pas supprimé, mais plutôt donné à l’éco-organisme Refashion, qui aura la charge d’attribuer les sanctions financières selon un cahier des charges précis.
Une idée qui ne satisfait pas le camp d’en face, qui rappelle qu’à date, Refashion n’a jamais établi de pénalités au-delà à 0.09 euros. « Si cet amendement gouvernemental venait à être adopté, on risque de faire de cette loi une coquille vide qui ne fixe aucun malus ni critères environnementaux concrets et permettrait même aux principaux concernés (Shein et Temu) d’y échapper », a jugé sévèrement mercredi la coalition Stop Fast-Fashion, dans un communiqué.
Julia Faure, co-présidente du Mouvement Impact France et co-fondatrice de la marque de vêtements éthiques Loom, souligne à ce sujet auprès de La Tribune : « Ces pénalités progressives étaient un moyen efficace de freiner les grands acteurs de l’ultra-fast fashion. Sans celles-ci, on passe à côté »
Le gouvernement se défend
De son côté, le cabinet de Véronique Louwagie ministre déléguée, notamment en charge de TPE-PME et de l’Économie sociale et solidaire, ne partage pas cette conclusion : « On comprend l’inquiétude, mais le changement de modalité des pénalités n’est pas un recul, au contraire. Si on grave dans la loi les montants, il sera difficile de revenir dessus plus tard, alors que là il y a une flexibilité possible. »
Par ailleurs, l’entourage de la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher argue que le système de pénalités initial ne s’adaptait pas « aux différents types de produits vendus par les acteurs de l’ultra-fast fashion ». Par exemple, la pénalité sur un manteau ne peut être identique à celle qui serait applicable à une paire de chaussettes.
Autre argument brandi par l’entourage des deux ministres : ne pas graver dans le marbre le montant de ces pénalités permettra plus tard de s’adapter aux évolutions des prix et ainsi de mieux pénaliser les entreprises de l’ultra fast-fashion qui ne respecterait pas loi. « On s’assure de garder les manettes pour mieux s’adapter », résume le cabinet de Véronique Louwagie.
Cibler surtout l’ « ultra-fast fashion »
Le gouvernement souhaite-t-il finalement davantage cibler les entreprises de l’ultra fast-fashion ? « Ce sont eux qui à court terme posent le plus de problèmes en matière écologique », répond l’entourage d’Agnès Pannier-Runacher. « En visant plus large, on prend le risque de manquer cet objectif ».
Une stratégie à laquelle Julia Faure ne croit pas. « J’espère me tromper, mais je pense que le gouvernement justement n’arrivera pas à remplir cet objectif avec la mouture actuelle », juge-t-elle. « Les prochains jours au Sénat seront décisifs ».
L’ « éco-score » des vêtements, une mesure inédite
Votée à l’unanimité l’année dernière, mais suspendu à cause de la chute du gouvernement Barnier, la loi anti-fast fashion prévoit différente mesure inédite pour lutter contre le fléau de la « mode jetable ». Dernière mesure en date, globalement saluée par les associations : vendredi dernier, la ministre de la Transition écologique a annoncé la validation par la Commission européenne du déploiement d’ici au second semestre 2025 d’un « éco-score » de l’empreinte environnementale des vêtements neufs. Celui-ci apparaîtra sur les étiquettes physiques ou en ligne des habits. Si cet « éco-affichage » n’est pas obligatoire pour les marques – et « perfectible » pour plusieurs ONG – c’est une avancée sans précédent en France. À l’instar de la création du Nutri-Score pour les aliments.
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