« Effets de seuil : ce que les entreprises ne font pas », tel aurait pu être le titre du dernier rapport publié ce mardi 22 avril par France Stratégie. L’organisme rattaché au Premier ministre y analyse en détail le comportement des entreprises à l’approche des seuils sociaux emblématiques — 11, 20, 50 salariés — qui entraînent l’application de nombreuses obligations légales : mise en place d’un comité social et économique (CSE), participation des salariés aux résultats, nomination d’un commissaire aux comptes… Autant de règles qui deviennent obligatoires dès qu’un seuil est franchi et qui ont un coût pour les entreprises.
Pour la première fois, l’institution a délaissé les déclarations fiscales au profit des fiches de paie, moins sujettes aux « ajustements » des employeurs. Et les résultats sont pour le moins surprenants : le célèbre « effet de seuil », ce pic d’entreprises juste avant 50 salariés, qu’analysait l’Institut des politiques publiques (IPP) en 2022, a tout bonnement disparu.
Un « résultat original », selon Clément Beaune, haut-commissaire au Plan et commissaire général de France Stratégie. Décryptage.
Pas de pic d’accumulation mais un « effet à longue portée »
L’étude révèle un phénomène inattendu : les entreprises sont anormalement nombreuses à se situer entre 30 et 49 salariés. En comptabilisant les déclarations sociales, France Stratégie n’observe pas de « point d’accumulation », de pic du nombre d’entreprises situées juste en deçà des 50 salariés pour éviter les obligations légales, comme l’avait révélé l’IPP en 2022.
Toutefois, l’institut dénote un « effet à longue portée » qui semble ralentir les ambitions de croissance des entreprises à partir de 30 salariés. Entre 2015 et 2022, la tendance se confirme, une majorité d’entreprises stagnent entre 30 et 50 salariés, avec une progression d’effectif plus lente dans cette tranche-là.
Mais attention aux interprétations, l’étude de France Stratégie ne permet pas de trancher : s’agit-il d’un frein volontaire à la croissance, ou d’une stratégie pour contourner les seuils sans les franchir ? « Cela pourrait faire l’objet de nouvelles études qualitatives auprès des chefs d’entreprise, pour mieux comprendre les vrais freins à la croissance dans le but de renforcer la compétitivité des PME françaises » précise Clément Beaune dans une note d’analyse, jointe à l’étude.
Pas de stratégies de contournement des seuils
France Stratégie est formel. Aucune des trois stratégies classiques de contournement de seuils (création de filiales, remplacement de salariés par du capital, ou recours à des contrats de travail non comptabilisés dans les effectifs) ne transparaît dans les données récoltées par l’institut.
Aucun « saut » de création de filiale n’est observé autour du seuil de 50 salariés. Et la loi Pacte n’a rien changé, entre 2018, 2021 ou 2022, les tendances restent similaires. Une des raisons avancées par France Stratégie : la création de filiales n’exonère pas les entreprises de certaines obligations « sociales », comme la mise en place d’un comité de groupe pour le dialogue social entre filiales.
France Stratégie ne constate pas non plus de dynamique de remplacement du travail par la machine permettant de diminuer les effectifs. Bien que l’intensité capitalistique (le rapport entre les immobilisations et le nombre de salariés) augmente avec la taille des entreprises, cette hausse est linéaire, sans accumulation entre 30 et 50 salariés. Même dans l’industrie, plus capitalistique par nature, l’institut ne constate pas d’accélération autour des seuils.
Enfin, France Stratégie affirme que les entreprises ne recourent pas davantage aux contrats « non ordinaires » autorisés par la loi Pacte (stages, apprentissages, emplois aidés). Le ratio entre ces contrats et les emplois classiques reste stable, même entre 30 et 50 salariés.
En définitive, France Stratégie rétablit la vérité sur les prétendues stratégies de contournement des seuils, et intitule judicieusement sa note d’analyse : « Les effets de seuil ne sont pas tout à fait ce qu’on croit… ».
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Valentine Roux