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Énigme judiciaire
Par Martin Mollet
et Thomas Rabino
Publié le
Des heures de garde à vue et aucune mise en examen à l’issue : le rebondissement intervenu dans l’enquête portant sur la mort du petit Émile est-il un échec ? Ou au contraire la dernière étape avant d’accéder à la vérité ?
À première vue, le rebondissement intervenu cette semaine dans l’affaire Émile, disparu le 8 juillet 2023, pose plus de questions qu’il n’en résout. Dans une conférence de presse donnée ce jeudi 27 mars, le procureur de la république d’Aix-en-Provence, Jean-Luc Blachon, a cependant livré des éléments précis, permettant de mieux comprendre le contexte dans lequel les gardes à vue des grands-parents d’Émile Soleil ont été réalisées. Pour rappel, Philippe, et Anne Vedovini ainsi que de deux de leurs dix enfants avaient été interpellés ce mardi 25 mars, au petit matin à leur domicile du Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence). Ils sont ressortis libres, ce jeudi très tôt, « sans aucune poursuite », indiquait Jean-Luc Blachon.
Les gendarmes les ont notamment confrontés aux éléments récoltés durant les vingt derniers mois d’enquête. Tant sur la chronologie des faits, que sur des éléments scientifiques, concernant le crâne du garçonnet, découvert par une randonneuse le 30 mars 2024, et sur les vêtements lui appartenant, retrouvés lors des recherches, dans les jours suivants. Les éléments développés par le magistrat éloignent la piste accidentelle et accréditent l’intervention d’un tiers.
La piste familiale est-elle toujours privilégiée ?
Elle est en tout cas loin d’être exclue. Si « les charges ne sont pas suffisantes pour conduire à une mise en examen » des grands-parents et de deux de leurs enfants, « cette piste n’est pas refermée pour autant », a indiqué Jean-Luc Blachon. Lâchant donc au passage qu’il existe bien des « charges » pesant sur les gardés à vue.
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Le procureur d’Aix-en-Provence a souligné que les nombreuses expertises réalisées sur le corps de l’enfant « introduisent la probabilité de l’intervention d’un tiers dans la disparition et la mort d’Émile Soleil ». Il a aussi souligné que les expertises sur les véhicules (la voiture du couple Vidovini, ainsi qu’une remorque équestre) et les objets saisis lors de la perquisition réalisée au domicile des Vedovini étaient toujours en cours.
Les gendarmes gardent aussi dans leur jeu une carte importante : ils n’ont pas utilisé en totalité les 48 heures de garde à vue que la loi leur permet. Ils ont encore la possibilité de remettre la famille sous ce régime pour environ trois heures.
Y a-t-il eu une « mise en scène » des restes d’Émile ?
La conférence de presse du procureur a révélé des éléments glaçants issus des constatations scientifiques. À commencer par la violence dont pourrait avoir été victime l’enfant : les stigmates anatomiques sur le crâne sont évocateurs d’un « traumatisme facial violent ». Le signe de coups ? D’une chute ? Le représentant du parquet n’en a pas dit davantage.
D’autres éléments interrogent également sur une possible mise en scène ayant conduit à la découverte des restes de la dépouille. « Les vêtements et les ossements ont été transportés et déposés peu de temps avant leur découverte », a confirmé le procureur. Autrement dit : le crâne d’Émile ne se trouvait pas, depuis le départ, à l’endroit où il a été retrouvé par une promeneuse en mars 2024.
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Selon les constatations, le cadavre a un temps été conservé dans un endroit protégé, probablement clos. Mais alors comment expliquer que les fouilles des gendarmes, aidés de chiens spécialisés, n’aient rien trouvé ? Le colonel Christophe Bertin, commandant de la section de recherches de Marseille, chargée de l’enquête, a même précisé que tous les véhicules présents dans le secteur du Haut-Vernet avaient été recensés et vérifiés.
Par ailleurs, « les expertises permettent aussi d’affirmer que le corps de l’enfant ne s’est pas décomposé dans les vêtements retrouvés dans la forêt ». Faut-il en conclure que le petit Émile a été déshabillé volontairement ? Lui a-t-on retiré ses vêtements post-mortem ? Dans quel but ?
Que sait-on du prêtre qui s’est suicidé ?
L’information a été révélée par nos confrères de Paris-Match, quelques heures après le placement en garde à vue de la famille Vedovini. Le père Claude Gilliot, qui a baptisé le petit Émile, et faisait partie des proches de ses parents, s’est donné la mort le 15 mars dernier, par absorption de médicaments. Cet homme d’Église dominicain s’était fâché avec Philippe Vedovini, après qu’il avait donné à la presse des photos des proches d’Émile.
Il avait subi les affres du grand-père d’Émile qui l’avait appelé à plusieurs reprises pour l’insulter et remettre en cause sa foi. Claude Gilliot avait surtout été prié d’arrêter de dire la messe dans la chapelle des Pénitents gris où il officiait, à la suite de pressions que la famille Vedovini avait exercées sur le recteur de l’édifice religieux. Selon sa sœur, Claude Gilliot avait alors vécu une descente aux enfers progressive, sombrant peu à peu dans la déprime et conduisant à son suicide.
La proximité de sa mort et du rebondissement de l’enquête n’est-elle qu’une coïncidence ? Lors de sa conférence de presse, le procureur Blachon s’est contenté de répondre qu’il ne voyait pas de rapport « entre un prêtre et l’affaire Émile ». Reste que dans la nuit du mercredi 26 à ce jeudi 27 mars, une perquisition a eu lieu au domicile de cet homme d’Église, qui avait recueilli par le passé les confessions de Philippe Vedovini.
Vient-on d’assister à un loupé de la gendarmerie ?
Sans le dire, Jean-Luc Blachon, procureur de la République d’Aix-en-Provence, et le colonel Christophe Berthelin, commandant de la section de recherches de la gendarmerie de Marseille, ont pris soin, en moins de vingt minutes, de distiller des données illustrant l’ampleur et le sérieux des investigations pour éloigner l’idée d’un éventuel fiasco. Une pluie de chiffres est ainsi tombée sur les journalistes : 3 141 signalements, tous vérifiés. 287 auditions de témoin, dont quatre gardes à vue. 27 véhicules ont fait l’objet d’analyses de la police technique et scientifique. 50 perquisitions judiciaires, 38 perquisitions numériques, 426 000 véhicules détectés aux environs du Haut-Vernet. Près de 285 hectares, 55 millions de données de communication, et toujours 21 téraoctets en cours d’analyse.
Il paraît évident que les militaires ont interpellé les Vedovini dans l’espoir d’obtenir des aveux. Ils ont ainsi choisi la méthode d’interpellation la plus musclée, en se rendant chez eux au petit matin, alors que la famille était endormie. Les militaires auraient pu agir plus en douceur en les convoquant pour une audition. « Cela montre la volonté de provoquer chez eux un électrochoc, les mettre dans une position psychologique fragile », témoigne un policier rompu à ce genre d’exercice. Mais les auditions n’ont visiblement pas apporté les déclarations – ou aveux – espérés.
« Le laps de temps écoulé entre la découverte des restes de la dépouille et ces gardes à vue est révélateur, souffle cependant à Marianne un officier de gendarmerie. Mes camarades n’ont pas procédé au hasard. Il a fallu attendre les résultats d’une foule d’analyses, les interpréter, vérifier les témoignages. Il est tout à fait normal, à ce stade, de commencer par les proches de la victime, qui étaient là et qui sont les derniers à l’avoir vu en vie. Et ce n’est pas la première fois que des gardés à vue ressortent libres. » Cependant, « le fait que les enquêteurs se soient gardé quelques heures de garde à vue sous le coude est significatif », nous glisse un officier de gendarmerie proche de l’enquête.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne