LA TRIBUNE DIMANCHE — Quel souvenir conservez-vous de votre confrontation avec le « boucher de Lyon » ?
MAITRE ALAIN JAKUBOWICZ — J’avais la trentaine et je ne suis pas sûr d’avoir mesuré, à l’époque, tout ce que ça représentait. J’étais impressionné par la solennité du moment, le nombre de personnes qui occupaient la salle monumentale des pas perdus du tribunal de Lyon. Je représentais des associations, particulièrement le Consistoire israélite de France, et je n’avais pas eu de confrontation au cours de l’instruction, je n’avais jamais vu Klaus Barbie. Son arrivée dans le box m’a marqué, son visage, ses yeux. Il avait un rictus quasi permanent. J’imagine ce que ce rictus sur le visage d’un homme qui torture a pu représenter.
Quels sont les autres moments marquants ?
Dans les premiers jours, la défense, représentée par Jacques Vergès, a développé des moyens de procédure. À l’extérieur du palais, le négationnisme montait, particulièrement à Lyon où sévissait Robert Faurisson, qui avait redonné ses « lettres de noblesse » au négationnisme. Puis il y a eu un tournant, le moment où Klaus Barbie a refusé de comparaître. Un électrochoc pour les victimes. Et finalement un bienfait. Ça a contribué à charger Klaus Barbie. Surtout, ça a facilité les témoignages. Les récits sur les atteintes à la dignité humaine, en particulier des femmes, à la nudité, à l’hygiène, cette théorie de l’Untermensch, du « sous-homme », nous ont fait toucher du doigt le crime contre l’humanité. Faurisson n’a pas pu déverser sa propagande devant des femmes qui racontaient avoir vu les mères et les enfants entrer dans des chambres à gaz et partir en fumée dans les crématoires. Ce fut le meilleur remède contre le négationnisme.