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Disparition
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L’écrivain péruvien naturalisé espagnol Mario Vargas Llosa vient de mourir à 89 ans. Prix Nobel en 2010, membre de l’Académie française, il était une figure majeure de la littérature sud-américaine.
« La bonne littérature, en même temps qu’elle apaise momentanément l’insatisfaction humaine, l’accroît et, en développant une sensibilité critique non conformiste face à la vie, rend les êtres humains plus aptes au malheur. » Ainsi écrivait Mario Vargas Llosa dans La vérité par le mensonge (1992), pour éclairer, avec une nécessaire et douloureuse lucidité, la signification de son art à travers l’étude d’œuvres romanesques du XXe siècle qui l’avait marqué. Portant chevillé au corps une conception de la littérature comme outil d’investigation de l’âme et des sociétés humaines, il les explore en menant une œuvre prolifique où domine la fiction (plus d’une vingtaine d’ouvrages, romans et de nouvelles ont été publiés entre 1959 et 2023) mais qui laisse la part belle au théâtre et à la critique littéraire (L’Orgie perpétuelle : Flaubert et Madame Bovary, 1978, notamment).
Mario Vargas Llosa naît à Arequipa (Pérou) en 1936. Il partage sa vie entre l’Amérique du Sud et l’Europe, particulièrement l’Espagne et la France. S’il tient très vite à distance le réalisme magique sud-américain, dont il est le contemporain (cultivant même, un temps, une amitié, avec Gabriel Garcia Marquez), son style n’échappe pas à cette verve baroque qui frappe tant les Européens, cette capacité de passer de personnages en personnages et d’enrôler le lecteur dans un roman total, visant l’universel.
Écrivain reconnu dès la parution de son premier roman (La ville et les chiens, 1963, qui fait scandale mais lui permet d’acquérir d’emblée une notoriété internationale), il va mettre cette écriture polyphonique au service d’une peinture sociale sans concession des sociétés sud-américaines, écrasées par les régimes autoritaires mais traversées de mythes et d’idéaux, dont il sait se faire le pourfendeur autant que l’avocat.
D’écrivain à figure politique…
Son œuvre prolifique alterne les grandes fresques civilisationnelles, à l’image de La guerre de la fin du monde (1982), peignant le Brésil politique du XIXe siècle, des romans policiers, avec détournement du genre, comme Conversation à la Cathédrale (1969) avec des œuvres cultivant un registre plus intimiste, comme La tante Julia et le Scribouillard (1977), autofiction évoquant son premier mariage avec une tante par alliance, ou La Fête au bouc (2000), relatant les derniers jours du président de la République dominicaine assassiné en 1961.
Dans son dernier livre, Les vents (2023), il mettait en scène un homme centenaire à la recherche de son domicile dans un Madrid dystopique. Il aura ainsi exploré bien des chemins du genre romanesque, sans toutefois délaisser le théâtre, avec La Chunga (1986), Le fou des balcons (1993) ou encore Jolis yeux, vilains tableaux (2000).
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Son destin est aussi celui d’un intellectuel traversant la seconde partie du XXe siècle en en épousant les remous politiques : d’abord marxiste, membre du Parti communiste péruvien, il soutient la révolution cubaine. Le Printemps de Prague (1968) aura cependant raison de ses convictions, après lequel il effectue un large virage, vers le libéralisme le plus radical, sous l’égide d’Adam Smith, Jean-François Revel ou de Raymond Aaron, allant jusqu’à se constituer comme soutien des politiques austéritaires engagées par Margaret Thatcher au Royaume-Uni et de Ronald Reagan à la même époque aux États-Unis.
En 1990, il se présente même à l’élection présidentielle péruvienne, où il est platement battu. Dans les dernières années de son existence, on l’a vu passer d’un libéralisme conservateur au soutien d’un populisme et de l’extrême droite latino-américaine, avide de climatoscepticisme et de théories antivax. Il faudra néanmoins s’efforcer de retenir l’immense écrivain qu’il aura été et l’œuvre qui lègue pour l’avenir.
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Amoureux de la France, qui le lui rendait bien, il avait été publié en 2016 dans la prestigieuse collection de La Pléiade de Gallimard, intégrant le club très select des auteurs y entrant de leur vivant. En 2021, il avait été élu au fauteuil 18, celui précédemment occupé par Michel Serres, sous la coupole de l’Académie française. Il devenait alors le premier écrivain élu à n’avoir jamais publié en français. Seulement François Mauriac avait été avant lui membre de l’Académie française et récompensé par le Prix Nobel de littérature.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne