Le gouvernement chinois a détaillé ses ambitions économiques il y a dix ans tout juste, dans son plan « made in China 2025 » : devenir leader mondial dans dix secteurs stratégiques (dont la robotique, les véhicules électriques, l’aéronautique…). Autrement dit : détrôner les États-Unis comme première puissance dans les technologies de pointe.
Et pour y parvenir, l’espionnage comme l’extorsion d’informations sont des façons éprouvées d’y parvenir. C’est ce qui ressort d’une enquête menée par le journal de l’université américaine de Stanford, The Stanford Review.
Un espion à la fac
« Cet été, un agent du PCC s’est fait passer pour un étudiant de Stanford », écrivent les auteurs. Ils s’appuient dans leur article sur les témoignages de plusieurs professeurs, étudiants et experts chinois de cette université californienne, recueillis au cours des dix derniers mois.
Cet étudiant-espion se serait fait appeler Charles Chen. Mais tout laisse à penser qu’il s’agit d’un pseudonyme puisque, après enquête, il s’est avéré qu’il se faisait passer pour un étudiant depuis plusieurs années, modifiant légèrement son nom et son identité auprès de ses interlocuteurs. Sa technique d’approche était toujours la même : il prenait contact avec des étudiants de Stanford sur les réseaux sociaux, ciblant principalement des femmes effectuant des recherches sur la Chine. Probable agent du ministère chinois de la Sécurité d’État (MSS), il était chargé d’identifier les étudiants de Stanford sympathisants du régime chinois et de recueillir des renseignements sur leurs travaux.
Chantage et menace
Les autorités chinoises auraient une autre méthode favorite pour récolter des informations : en obligeant purement et simplement ses étudiants en formation aux États-Unis. Une approche que le PCC qualifie de « participative ». « La loi chinoise de 2017 sur le renseignement national exige que tous les citoyens chinois soutiennent et coopèrent avec les services de renseignement de l’État, où qu’ils se trouvent », indique The Stanford Review. Les étudiants engagés dans des recherches scientifiques sensibles, notamment dans des domaines comme l’intelligence artificielle (IA) et la robotique, sont particulièrement visés.
D’après un expert de la Chine travaillant à Stanford, des étudiants chinois répondent favorablement à cette injonction sans sourciller. Certains, en revanche, opposent une résistance en ne fournissant que le strict minimum d’information. Et d’autres obtempèrent par souci de préserver leur bourse. Selon plusieurs sources, le Conseil chinois des bourses, qui accorde cette précieuse manne financière, exige des étudiants boursiers qu’ils rédigent des « rapports de situation » aux missions diplomatiques chinoises concernant leurs recherches. Ils doivent aussi signer des engagements de loyauté envers le Parti communiste chinois. En cas de non-respect, ils peuvent se voir couper les vivres et risquent aussi d’autres types de sanctions, non détaillés. Tout comme leur famille.
« [Le gouvernement chinois] utilise la carotte et le bâton. Si vous fournissez des informations, vous pouvez être récompensé ; si vous ne le faites pas, vous êtes puni », résume Matthew Turpin, l’ancien directeur du Conseil de sécurité nationale des États-Unis pour la Chine.
Un cas d’espionnage avéré
À ce jour, un seul cas d’espionnage a été publiquement reconnu par l’université de Stanford. Il remonte à juillet 2020, quand une chercheuse en neurologie, Chen Song, a été inquiétée pour avoir menti sur son affiliation à l’armée chinoise (anciennement connue sous le nom d’Armée populaire de libération). Elle aurait dissimulé ce lien lorsqu’elle a demandé son visa américain et aurait cherché à détruire les preuves de cette affiliation lorsque les autorités américaines ont commencé à enquêter sur elle.
Pire encore : selon des documents du ministère américain de la Justice, la chercheuse aurait envoyé à une entité gouvernementale chinoise plusieurs mises à jour détaillant « la nature, les résultats et la valeur de ses travaux de recherche à Stanford ».
Chen Song a été inculpée courant l’année 2021 pour fraude aux visas, entrave à la procédure officielle et de chefs d’accusation de modification, destruction, mutilation ou dissimulation de documents et de fausses déclarations à un organisme gouvernemental. Elle encourait une peine maximale de 10 ans de prison et une amende de 250 000 dollars. Des poursuites qui ont finalement débouché sur un non-lieu en juillet de la même année.
Selon les auteurs de l’article de The Stanford Review, l’université californienne ne révèle au grand public les cas d’espionnage que dans de très rares cas. « Les allégations de profilage racial peuvent faire dérailler les enquêtes, ce qui entraîne une forte résistance institutionnelle à enquêter sur ces questions. Par conséquent, Stanford et les autorités chargées des enquêtes ont pour politique de préserver la confidentialité, choisissant plutôt d’annuler les visas étudiants sans préavis », écrivent ses auteurs. Un silence auquel ils jugent bon de mettre fin.
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Agathe Perrier