Dans le palais d’Ivoloha du président malgache, Emmanuel Macron a presque rompu le protocole ce mercredi. Cinq sujets de coopération aussi majeurs que traditionnels – autonomie, transport, énergie, alimentation etc. – devaient être discutés, mais le président en a ajouté un. Un sujet qui monte et qui est loin d’être négligeable : l’approvisionnement en métaux critiques.
«(J’ai rajouté) ce thème à dessein parce que nous avons la conviction que nous pouvons avoir un partenariat en matière de terres rares et de minerais stratégiques »a plaidé le président français.
Deuxième producteur de graphite
Le secteur minier représente un peu plus de 6 % du maigre PIB malgache. Le pays, protectorat puis colonie française de 1882 à 1960, a une histoire intimement liée à ses ressources souterraines. Lorsque le général Gallieni colonise la Grande île manu militari en 1895, il embarque à ses côtés un minéralogiste de renom : Alfred Lacroix.
Le futur membre de l’Académie des sciences rédige alors plus d’une centaine de notes à l’attention des nouvelles autorités locales. Il y décrit un sous-sol intéressant, gorgé de graphite, d’uranium, de chromite, de fer et autres minerais et métaux en tous genres. Les écrits attisent la curiosité des industriels français alors en plein réarmement.
Un siècle plus tard, les entreprises tricolores héritières de ces industriels scrutent de nouveau le graphite de Madagascar. 90 % de la production mondiale de ce minerai provient de Chine, et le besoin de diversification de l’approvisionnement se fait encore plus fort à mesure que Pékin met en place des contrôles à l’exportation.
À Madagascar, la mine de Molo, opérée par une entreprise canadienne, est entrée en production il y a moins de deux ans et a permis à l’île de devenir la première alternative à la Chine. La mine prévoit déjà de s’étendre pour répondre à la demande croissante. Il faut dire que « l’essentiel des besoins en graphite est dans le secteur très porteur des batteries », rappelle Raphael Danino-Perraud, chercheur associé à l’IFRI et auteur d’une étude intitulée Le graphite, un enjeu européen d’autonomie stratégique pour la mobilité propre.
Le précédent Solvay
L’annonce d’Emmanuel Macron reste encore floue pour le moment. Et si « elle va dans le bon sens, celui de la diversification des sources d’approvisionnement », selon le chercheur, la volonté du président français pourrait aussi déboucher sur… rien. C’est ce qui s’est déjà produit pour le chimiste français Solvay – héritier de Péchinay – qui avait signé, à l’orée des années 2010, une lettre d’intention pour s’approvisionner à 100 % en terres rares malgaches. Son fournisseur, l’allemand Tantalus Rare Earths, avait finalement fermé ses portes en 2015 sans jamais avoir ouvert de mine. À grands coups de communications et d’effets d’annonce, les projets se succèdent à Madagascar, mais rares sont ceux qui se concrétisent.
Le manque d’infrastructure et la corruption endémique n’aident pas. 90 % des recettes minières du pays sont assurées par trois mines, dont celle de Molo. La deuxième, celle d’Ambatovy, produit du nickel et du cobalt, mais est lourdement endettée. Son propriétaire, le japonais Sumitoto, accumule des pertes s’élevant à 2,7 milliards d’euros sur ce projet et a nommé la semaine dernière un nouveau directeur financier. Enfin, la compagnie publique Kraoma, qui exploite une mine de chromite, vit sous perfusion.
Désastre écologique
L’exploitation la plus rentable est celle d’ilménite – minéral fait de fer et de titane – par le géant Rio Tinto. Mais là, ce sont les désastres écologiques qui inquiètent. En 2022, la découverte d’une centaine de poissons morts provoquait une manifestation massive de la population locale. L’armée est envoyée pour calmer les opposants qui dénoncent également une main-d’œuvre à 90 % étrangère. Trois ans plus tôt, une étude démontrait que les taux d’uranium dans les rivières autour de la mine étaient 63 % supérieurs aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé.
Reste qu’appeler à un partenariat minier avec Madagascar est « un bon outil diplomatique, qui incite au développement d’un écosystème industriel vertueux en matière d’énergies, d’infrastructures, d’eau et de formation. C’est ce que font les Chinois. Pourquoi ne serait-on pas capable de le faire ? » s’interroge Raphael Danino-Perraud.
À lire également
Julien Gouesmat