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Dans son premier roman, « Mon vrai nom est Elisabeth » (Éditions du sous-sol), Adèle Yon tente de dissiper les mystères qui entourent la maladie de son arrière-grand-mère, diagnostiquée schizophrène, dans les années 1950. Entre le récit, l’enquête et l’essai, l’ouvrage rencontre un succès en librairie amplement mérité.
Il y a encore quelques semaines, Adèle Yon était inconnue du grand public. Mais depuis un mois, cette jeune chercheuse en études cinématographiques, également cheffe de cuisine, caracole en tête des ventes en librairie, devant des grands noms de la littérature, comme Leïla Slimani ou David Foenkinos. Son premier ouvrage, Mon vrai nom est Elisabeth, publié aux Éditions du sous-sol, suscite en ce début 2025 un engouement inattendu, mais finalement compréhensible.
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Ce véritable objet littéraire non identifié, entre le récit autobiographique, l’enquête familiale et l’essai sur la psychiatrie, raconte une quête personnelle. Peu de temps après le suicide de son grand-oncle Jean-Louis, inventeur du Minitel rose, l’autrice décide d’en apprendre plus sur son arrière-grand-mère, la mère de sa grand-mère paternelle. Besty – Elisabeth de son vrai nom – est probablement la clé pour comprendre sa famille, ses douleurs et ses mystères.
Le double fantôme
« Betsy est un nom qui ne se prononce pas. Je sais qu’à l’instant où j’aurais tiré ce nom du silence, avec ce geste sec du scaphandrier tirant sur le câble qui le relie à la surface lorsqu’il en vient à manquer d’oxygène, quelque chose sera différent », anticipe Adèle Yon. Officiellement atteinte de schizophrénie – on finit par en douter, en avançant dans la lecture –, son arrière-grand-mère est internée de force durant dix-sept ans, avant d’être lobotomisée. Une rumeur dit même qu’elle aurait été la première femme à subir, en France, cette opération qui consiste à sectionner les fibres blanches des lobes frontaux. Une chose est néanmoins certaine : les femmes ont largement été surreprésentées parmi les lobotomisés, sans que la cause ne soit réellement connue.
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Revenue chez les siens, Betsy n’est plus que l’ombre d’elle-même, mais reste un membre de la famille à part entière, malgré la peur qu’elle peut parfois inspirer et les anecdotes sur elle, qui se transmettent de génération en génération et s’apparentent parfois à des mythes. « C’était une femme en paix, qui avait énormément d’humour, qui riait de sa propre condition. […] Elle a trouvé sa place grâce à ce personnage non pas de folle dingue, mais de folle au sens d’amuseuse, de fou du roi, plus que de malade », se remémore son petit-fils, le père de l’autrice.
Mais elle reste avant tout une femme qui hante toutes les jeunes femmes de la famille, à l’image de Rebecca avec Mrs de Winter, dans le célèbre film d’Alfred Hitchcock. Car son souvenir demeure bien présent et inquiète : « Vais-je finir comme Betsy ? », se demande chacune, à commencer par la narratrice. C’est ce qui motive son enquête.
Qui était Elisabeth ? « Une vieille dame coquette qui aimait nager, bonnet de bain en caoutchouc et saut façon grenouille, dans la piscine de la propriété de vacances », décédée quatre ans avant la naissance de la narratrice. Mais encore ? Née à Saint-Germain-en-Laye le 19 août 1916, Betsy est la fille de Louise et Louis, une dessinatrice et un soldat. Son enfance aurait été plus difficile qu’il n’y paraît, avec un père qui, malgré sa bonne réputation, l’aurait « harcelée », selon une de ses nièces.
Lors d’une soirée, elle tombe amoureuse d’André, polytechnicien ambitieux, intelligent et sûr de lui, qui a du succès auprès de la gent féminine. Ils se fiancent, puis se marient au retour du jeune homme de la Seconde Guerre mondiale. Betsy a beaucoup de caractère, elle tient tête à André, un homme rigide, autoritaire et probablement coureur de jupons, qui se détourne d’elle. Ensemble, ils ont tout de même six enfants, privés d’amour maternel. Elle vit mal chaque accouchement, à une époque où il est tabou de parler de dépression post-partum. C’est après l’un d’eux qu’elle se fait interner, d’ailleurs. De quoi souffre Betsy exactement ? Est-ce réellement son cerveau qui est malade ou son problème est-il plutôt lié à des éléments biographiques, comme son enfance, son couple ou ses grossesses ? La réponse n’est pas si évidente.
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Très bien construit et joliment écrit, l’ouvrage est entrecoupé d’entretiens avec différents membres de la famille, de lettres de Betsy et André et de rapports de psychiatrie, enrichissant le récit. Pendant 400 pages, Adèle Yon reconstitue la biographie de sa grand-mère et nous raconte la vie de cette famille bourgeoise, qui sur le papier a tout pour être heureuse. Mais elle nous décrit également la psychiatrie de l’après-guerre et ses failles, et surtout la difficulté de se construire aujourd’hui.
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Mon vrai nom est Elisabeth, Adèle Yon, éditions du Sous-sol, 400 p., 22 €.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne