Dans la presse quotidienne régionale, plus un jour ne passe sans que le sujet soit abordé. À Saint-Malo (Ille-et-Vilaine), « Gilles Lurton entretient le suspense », analyse Ouest-France ; à Lyon (Rhône), le « trop-plein de candidats » inquiète Le Progrès ; à Chalons-en-Champagne (Marne), l’union de la gauche commence par « une réunion musclée » que raconte L’Union. Et à Paris, les états-majors des partis turbinent pour préparer les élections municipales de 2026, prévues dans un an.
« On s’y met tous, ça monte doucement », sourit Hervé Marseille, président de l’Union des démocrates et indépendants (UDI). Le scrutin communal prend, ces temps-ci, d’autant plus de place dans les discussions d’arrière-salle que s’est éloignée la perspective d’une nouvelle dissolution, après celle d’une démission d’Emmanuel Macron.
« Personne n’a vraiment intérêt à retourner aux urnes, donc à censurer » le gouvernement de François Bayrou, juge par exemple un ministre. Un cadre du « bloc central » imagine, lui, une dernière fenêtre de tir pour les oppositions avant l’été. « Après cela, personne ne risquera une dissolution si proche des municipales », pense-t-il.
À défaut de retour aux urnes en 2025, les formations politiques se tournent donc progressivement vers la dernière station électorale avant la prochaine élection présidentielle : les municipales de mars 2026. « Le calendrier donne un “effet présidentielle” qu’on n’avait pas vu depuis vingt-cinq ans, note Rémi Lefebvre, professeur de science politique à l’université de Lille (Nord). Ça sera forcément intéressant à suivre, après une élection de 2020 marquée par une grande dénationalisation. »
Comme à chaque élection intermédiaire depuis 2017, la prochaine élection municipale donnera à voir un des grands paradoxes de la vie politique française : les trois partis les plus forts au niveau national – le Rassemblement national (RN), Renaissance et La France insoumise (LFI) – souffrent d’un déficit d’implantation locale, tandis que le Parti socialiste (PS) et le parti Les Républicains (LR), concurrencés, voire devancés aux élections nationales, continuent d’administrer la plupart des collectivités territoriales.
Pour l’heure, c’est aux considérations tactiques que se consacrent les stratèges des différents camps, autour d’une question : avec qui y aller ? À gauche, le divorce entre le PS et LFI rejaillira forcément sur l’offre politique du printemps prochain. « Il est plus que temps de faire entendre une gauche de rupture dans un certain nombre de villes », note ainsi Paul Vannier, député du Val-d’Oise et responsable des élections au sein du mouvement insoumis. Embarqués dans un congrès interne, les socialistes semblent s’accorder sur la nécessité de couper le cordon avec LFI.
S’unir ou s’affirmer ? Un casse-tête transpartisan
Des positions de principe qui placent les Écologistes et les communistes dans la posture inconfortable d’arbitres de leur camp. Grands vainqueurs du précédent scrutin, qui leur avait permis de conquérir plusieurs grandes villes dont Lyon (Rhône), Strasbourg (Bas-Rhin) et Bordeaux (Gironde), les Écologistes n’ont pas manqué d’observer la progression spectaculaire de LFI dans leurs bastions. Ainsi la direction du parti a-t-elle fini par accepter récemment la proposition insoumise de discussions nationales. Tout en se sachant historiquement liée avec les socialistes dans un grand nombre de métropoles, à commencer par Paris.
La donne n’est pas beaucoup plus simple à droite, où la réplication locale des contours de la coalition au pouvoir (LR, Renaissance, MoDem et Horizons) apparaît comme la principale – pour ne pas dire la seule – combinaison gagnante. « L’union va s’imposer à nous », juge ainsi Maud Bregeon, députée Renaissance et candidate malheureuse en 2020 à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).
Alors, partout, les tractations commencent. À Nantes, c’est la présidente de région Horizons Christelle Morançais qui a pris en main les difficiles pourparlers entre Sarah El Haïry, ancienne ministre MoDem devenue haut-commissaire à l’enfance, Laurence Garnier, la très conservatrice sénatrice LR, et l’ex-LR Julien Bainvel, autour duquel un consensus semble se dessiner. À Bordeaux, la même concurrence se dessinait entre l’ancien ministre Renaissance Thomas Cazenave et l’ancien maire LR Nicolas Florian, avant que le décès brutal de ce dernier fin janvier ne bouleverse le paysage politique local.
Fragilisé sur le plan électoral, le bloc central devra surmonter ses divergences pour conserver ses principaux bastions, à l’instar de Toulouse (Haute-Garonne), où le député LFI François Piquemal est en lice, et Orléans (Loiret), où la gauche peut espérer sortir victorieuse d’une éventuelle triangulaire avec le RN. Parmi les voix optimistes, Hervé Marseille estime que « l’élection va être facilitatrice » et « obliger » ce fameux bloc « à un large rassemblement ».
D’autres craignent à l’inverse que la proximité de la présidentielle n’exacerbe les stratégies individuelles, alors que chaque parti de la coalition a – au moins – un candidat putatif au scrutin de 2027, d’Édouard Philippe (Horizons) à Gabriel Attal (Renaissance), en passant par François Bayrou (MoDem) et Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez chez LR. L’exemple récent de la législative partielle à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), où quatre candidatures ont émergé du bloc central, trotte encore dans les esprits.
Un jalon sur la route de l’Élysée ?
L’échéance présidentielle sera tout aussi centrale dans la stratégie du RN et de LFI, désireuse de s’engager de plain-pied dans un scrutin qu’elle avait plutôt enjambé en 2020. « Il ne faudra pas nous sous-estimer, prévient Paul Vannier, député du Val-d’Oise et chef d’orchestre de la stratégie électorale du mouvement mélenchoniste. Nous souhaitons franchir une étape dans notre ancrage, avec l’ambition de conquérir des municipalités. »
Parmi celles-ci, LFI a coché plusieurs territoires populaires où elle est arrivée en tête de la gauche aux dernières élections nationales : c’est le cas à Roubaix (Nord), où le député David Guiraud fait office de favori, mais aussi à Vaulx-en-Velin (Rhône), où son collègue Abdelkader Lahmar pourrait s’offrir le scalp de l’ancienne ministre socialiste Hélène Geoffroy, ainsi qu’à La Courneuve (Seine-Saint-Denis), que pourrait briguer Aly Diouara, lui aussi élu à l’Assemblée nationale.
C’est une autre caractéristique singulière du scrutin de 2026 : plusieurs parlementaires se tiennent prêts à abandonner leur mandat national pour le fauteuil de maire. La porte-parole du RN Laure Lavalette paraît en bonne position à Toulon, comme son collègue Christophe Barthès à Carcassonne (Aude). Chez les macronistes, l’ancien ministre de l’économie Antoine Armand devrait se lancer à Annecy (Haute-Savoie) et la députée Violette Spillebout à Lille. « Vu le contexte politique, on se sent plus utile dans une mairie qu’à l’Assemblée », souffle une députée qui se prépare à une campagne municipale.
Pour les états-majors, conquérir des mairies permet non seulement d’asseoir une légitimité locale en vue des prochaines échéances, à commencer par la présidentielle, mais aussi de se positionner en vue du renouvellement sénatorial de septembre 2026. « Les municipales sont un pourvoyeur massif de grands électeurs, note Pierre Bédier, président LR du conseil départemental des Yvelines. Forcément, c’est quelque chose qui entre dans l’équation dès aujourd’hui. » Chez les Insoumis, Paul Vannier résume : « Emporter quelques collectivités et entrer au Sénat, ça serait déjà un très grand pas pour nous. »
Budget, écologie : la gauche aura le vent de face
D’ici-là, les différents courants politiques s’accordent sur la difficulté de la campagne qui s’annonce. D’abord parce qu’il est de plus en plus dur de trouver des candidat·es, qu’il s’agisse d’être tête de liste ou de postuler à un simple siège de conseiller ou conseillère. « Dans notre camp, on est tous saignés, déplore un baron local LR. L’affaissement des partis politiques est colossal. On n’a plus les troupes d’antan, les militants, les gens prêts à s’y coller. Même pour un parti comme le nôtre, faire une liste devient un casse-tête. »
La situation financière des municipalités constitue un boulet de plus dans la marche en avant des candidat·es. Alors que le budget 2025 a imposé des coupes aux collectivités, et que la situation internationale va engendrer de nouveaux efforts budgétaires, l’affaire ressemble à la quadrature du cercle pour les élu·es d’aujourd’hui et de demain.
Comment construire un projet de nature à transformer un territoire dans un tel brouillard financier ? « Ça sera dur pour l’investissement, reconnaît Pierre-Yves Bournazel, responsable des élections à Horizons et candidat à Paris. Dans une période aussi difficile, les grandes constructions vont laisser place à des investissements concrets à échelle plus humaine, pour la qualité de vie des gens. »
Le dernier motif d’inquiétude a trait au débat public et à ses thématiques en vogue. Poussés par la force des marches pour le climat en 2020, les partis de gauche attaquent cette fois-ci la campagne dans une posture défavorable, au milieu d’un débat public phagocyté par les sujets sécuritaires et l’inquiétude financière. Alors que l’écologie a disparu des priorités de l’exécutif, la mode est même à la rhétorique anti-écolo, sur laquelle le dirigeant sportif Jean-Michel Aulas tente de construire sa candidature à Lyon.
« À l’inverse, les maires écologistes peuvent bénéficier de façon inédite de la prime aux sortants qu’on observe souvent, pointe le politiste Rémi Lefebvre. Et puis, dans les métropoles, leur politique a plutôt conforté leur socle en matière de cadre de vie et de promotion des mobilités douces. » Chez Horizons, Pierre-Yves Bournazel se dit bien en peine de se projeter sur le fond : « Dans un an, où en sera-t-on en Ukraine et au Proche-Orient ? Où en sera le climat économique et financier ? C’est difficile d’anticiper. Tout ce qu’on peut faire aujourd’hui, c’est préparer des bons candidats et des projets sérieux. »