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Humeur
Par Maud Le Rest
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C’est le nouveau héros de la santé mentale : Nicolas Demorand, animateur star de France Inter, a révélé sa bipolarité dans les colonnes du « Point », où il annonce la sortie d’un livre autobiographique sur le sujet. Si on peut saluer une volonté réelle de déstigmatisation des maladies psychiatriques, l’hyper-personnalisation – et donc la dépolitisation de la thématique – pose question pour Maud Le Rest, journaliste et autrice de « Tu devrais voir quelqu’un » (Anne Carrière), une enquête sur le rapport des hommes à la santé mentale.
« Je suis un malade mental », annonce le journaliste Nicolas Demorand en titre d’un article du Point paru le 26 mars. La formule attire l’œil : le co-animateur de la matinale de France Inter évoque ici sa bipolarité de type II, qu’on lui a diagnostiquée il y a huit ans, après une longue errance médicale. C’est le sujet de son dernier livre, Intérieur nuit, paru le 27 mars aux Arènes. « Je soignais l’échec thérapeutique avec l’idée du suicide, l’anxiolytique suprême, l’antidépresseur majuscule, celui qui finit par s’imposer quand tous les autres ont échoué. Le suicide comme médicament, à essayer au même titre que les autres, tous ceux que j’avais avalés », confie Demorand dans son essai autobiographique.
Une parole à saluer, tant les maladies psychiatriques sont stigmatisées et vues comme un signe de faiblesse, d’imprévisibilité et inspirent la méfiance et la haine. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), 70 à 80 % des personnes avec des troubles psychiatriques graves n’ont pas accès à l’emploi et elles ont 11 à 13 fois plus de risques d’être victime de violences physiques. Par ailleurs, 61 % des Français pensent que les personnes avec une pathologie psychiatrique sont plus dangereuses pour les autres, d’après une enquête Ipsos pour la Fondation Falret.
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Cela étant dit, Nicolas Demorand est loin de représenter le patient psy lambda, et son héroïsation quasi unanime a de quoi crisper. Le journaliste jouit en effet d’une position sociale TRÈS confortable, et on peut imaginer que ce « coming-out » – on peut émettre des doutes sur la pertinence de l’utilisation de ce terme ici, mais passons – lui coûtera bien moins socialement que si Didier de la compta venait en pleine conférence de rédaction annoncer qu’il est « malade mental ». Didier, plus personne ne voudrait manger avec lui à la cantoche. Il y a fort à parier qu’il serait peu à peu ostracisé, puis placardisé. Quelque part, Nicolas Demorand donne l’impression que parler publiquement de son trouble psychiatrique est plutôt simple. Sauf qu’on n’est pas tous animateur de la matinale d’Inter.
De la libération de la parole à l’injonction à tout dire
« Je ressens un malaise face à cette tendance à l’hyper-transparence. Je pense qu’il y a une distinction à faire entre une prise de parole qui a du sens – comme un témoignage qui aide à briser un tabou et peut offrir du réconfort – et un simple étalage de l’intime qui, parfois, vire à la quête d’attention. Le problème, c’est que la frontière entre les deux devient de plus en plus floue, et l’on confond souvent confession sincère et mise en scène de soi. Cette libération de la parole, à outrance à mon goût, devient une énième injonction à tout dire », m’a répondu à ce sujet la psychothérapeute conjugale et familiale Anissa Ali sur Instagram.
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Par ailleurs, le coup de projo mis sur Demorand et la reprise de son témoignage à toutes les sauces tend à rendre invisible les autres malades et à occulter la crise de la psychiatrie en France. « On ne compte que 16 000 psychiatres, et leur nombre dans les établissements publics a baissé de 10 % ces dernières années. […] L’organisation et l’offre de soins sont aussi très compartimentées. Le manque de place est criant, les délais de prise en charge très longs, les hôpitaux avec une unité de soins spécialisée parfois très éloignés du lieu de vie de la famille. Sur près de 15 millions de personnes concernées par des troubles psychiques, on estime que 40 à 60 % sont peu ou pas pris en charge », alertait en 2023 Catherine Heurteaux, référente scientifique à l’Agence française de financement de la recherche sur projets. Didier de la compta n’aura sûrement pas le même accès aux soins que Nicolas, qui ironise sur le plateau de l’émission Quotidien sur la thalasso de l’hôpital Sainte-Anne, dont il s’est « barré au bout d’une journée » car il n’en « pouvait plus ». Et qui parle plusieurs fois par jour à son psychiatre par SMS et au téléphone.
Hystérique !
Il est par ailleurs essentiel d’aborder la dimension genrée de cette prise de parole. S’il est bien sûr positif qu’un homme médiatique se décide à aborder publiquement sa pathologie mentale, en dépit des injonctions à la virilité et à la performance, il semble assez probable qu’une femme dans une position similaire qui ferait la même confession serait traitée d’hystérique. La sanité des femmes est constamment remise en question et la présomption de folie pèse sur elles à chaque prise de parole légèrement enflammée ; aussi, annoncer que l’on souffre d’une maladie mentale quand on est une femme est-il hautement risqué.
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« L’hystérie reste intimement liée à l’histoire du rapport entre les femmes à la médecine. […] Ce concept a très tôt condamné et rejeté les femmes dans une errance diagnostique, sans qu’aucun traitement de guérison objectif et rationnel ne leur soit proposé pour les soigner. Elle formule une pathologisation constitutive et biologique de la femme, pour ne pas dire de la féminité en général. Une double peine, car en plus de considérer qu’elles sont prédisposées aux maladies, leurs souffrances sont sous-évaluées et ne font l’objet d’aucun diagnostic médical sérieux », argumentait en 2023 l’historienne Jeanne Guéroud dans l’émission de France Inter Grand bien vous fasse. Un oubli de la dimension genrée de cette prise de parole qui agace tout particulièrement quand on voit que Le Point utilise, pour parler du livre du journaliste, l’expression « MeToo de la santé mentale », normalement employée par les féministes pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles.
Non, il n’est pas simple de parler de son trouble psychique en public ou sur son lieu de travail. Et on a beaucoup plus à perdre si l’on ne coche pas les cases du bingo magique « homme blanc cisgenre hétéro haut placé hiérarchiquement ». « Parlez, ça fait du bien », encourage Nicolas Demorand sur le plateau de Quotidien. Pour ma part, je ne saurais que trop vous conseiller d’y réfléchir à deux fois.
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne