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La série franco-israélienne revient, sur Arte, pour une saison 2 réussie retraçant le destin de combattants islamistes et kurdes. Après « The State », Cœurs noirs » ou « Rabia », elle confirme que, faute d’avoir gagné sur le terrain (et qui songerait à s’en plaindre ?), Daech s’est peu à peu imposé sur le territoire de la narration.
Il se raconte que, grâce à la chute de Bachar Al-Assad, l’État islamique reprendrait de la vigueur en Syrie. Replié entre Homs à la vallée de l’Euphrate, il conserverait un vrai pouvoir de nuisance – et beaucoup craignent même de le voir reconquérir Raqqa, son ancienne capitale au centre du pays. Plus étonnant encore, comme l’affirmait le documentaire « Raqqa, l’ombre de Daech », diffusé en novembre dernier sur France 3, on vivrait aujourd’hui plus mal dans la ville que sous les régimes de Bachar ou des islamistes. Les habitants ne mangent pas à leur faim, l’eau courante et l’électricité sont défaillantes, la majorité des écoles sont fermées.
Montrer cette logistique fonctionnant normalement sous Daech est l’un des partis pris forts de la saison 2 de « No Man’s Land » actuellement diffusée sur Arte. Parmi ses principaux personnages se distingue Jake Al-Shami, alias Abd Al-Rahman. Texan enrôlé de son plein gré, il dirige le conseil financier de l’organisation. Se promenant en 2015 sur un marché bien approvisionné de Raqqa, il explique à son interlocuteur pourquoi il paie aux paysans leurs produits au prix fort. Il achète ainsi une paix sociale grâce aux subsides des puits de pétrole exploités en Syrie et en Irak. Ledit interlocuteur s’appelle Nasser. Espion mandaté par le Mossad, il espère décapiter l’État islamique en éliminant son grand argentier.
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Diffusée en 2020 sur Arte, la première saison de « No Man’s Land » avait séduit la critique et le public, rassemblant deux millions de vues sur arte.tv, avant même sa diffusion sur la chaîne. Coécrite par Ron Leshem et Amit Cohen (« False Flag », « Euphoria »), elle prouvait une nouvelle fois – après « Téhéran » ou « Fauda » – que les plus doués et les mieux renseignés pour parler des islamistes restent les scénaristes israéliens.
Les rouages de la tyrannie
Dans ce premier opus situé en 2014, Mélanie Thierry incarnait Anna Habert, membre française des YPJ (unités de combattantes kurdes) travaillant sous couverture pour le Mossad. Face à elle, trois jeunes Anglais (dont l’agent double Nasser) engagés découvraient de l’intérieur l’Eden vendu par la propagande salafiste. On retrouve tout ce petit monde – moins un Anglais, occis par Anna – dans cette deuxième saison. Traquée par ses ennemis, Habert recueille Nisrine, adolescente devenue esclave de Daech. Quant à Nasser, il cherche à tout prix à se faire exfiltrer.
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Si vous attendez de la baston et des scènes de tortures bien vicieuses, passez votre chemin. Sans être dépourvue d’action, cette coproduction franco-israélienne continue de se démarquer par le sérieux de son propos et de sa documentation. À l’image du récent film Rabia, elle montre de l’intérieur les rouages qui ont permis à l’État islamique de se maintenir trois ans à la tête d’un territoire grand comme la région Grand Est.
Ce fief a disparu en 2017 avec les chutes de Raqqa et Mossoul mais il a souverainement investi le territoire de la fiction. Il y a huit ans, la série britannique « The State » avait été accusée de promouvoir l’endoctrinement en suivant quatre jeunes Britanniques ayant rejoint l’organisation terroriste. En 2023, la française « Cœurs noirs » expédiait nos forces spéciales en Irak pour y récupérer des djihadistes bien de chez nous. La saison 2 arrive le 9 mai sur Prime Video. Avant d’abandonner le projet, Bradley Cooper a même travaillé sur une mini-série HBO racontant les débuts de Daech. Cooper briguait-il le rôle d’Abou Bakr al-Baghdadi ? Si c’est le cas, on a vraiment évité le pire.
« No Man’s Land », saison 2. Le jeudi à 20h55 sur Arte. Les 8 épisodes sont disponibles jusqu’au 15 octobre sur arte.tv. La saison 1 est disponible jusqu’au 30 mars 2026 sur arte.tv
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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne