Non, Emmanuel, on n’a pas besoin d’opposer “écologie” et “fait divers”

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Non, Emmanuel, on n’a pas besoin d’opposer “écologie” et “fait divers”






















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Le président français Emmanuel Macron participe à l’émission Urgence Océan sur France 2 avec Léa Salamé et Hugo Clément, à Nice le 10 juin 2025.
Jacques Witt/SIPA

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Interviewé le 10 juin en amont de la conférence de l’ONU sur les océans, Emmanuel Macron a créé la polémique en fustigeant les politiques qui préfèrent « brainwasher sur l’invasion du pays et les derniers faits divers », au grand dam du « combat pour le climat ». « Marianne » vous explique pourquoi l’opposition entre « faits divers » et « écologie » n’a pas lieu d’être : il y a de la place pour tout le monde !

De l’émission « Urgence Océan – un sommet pour tout changer », diffusée sur France 2 le 10 juin dernier en amont du sommet de l’ONU sur les océans à Nice, on retiendra surtout la petite phrase d’Emmanuel Macron. Le président a en effet fustigé les politiques qui préfèrent « brainwasher sur l’invasion du pays et les derniers faits divers », au détriment du « combat pour le climat ». Un tacle direct en direction de ses adversaires politiques – qui ont récemment voté la suppression des ZFE au Parlement – mais aussi contre son propre camp, puisque le gouvernement a récemment suspendu les aides de MaPrimeRénov.

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Mais aussi une déclaration qui a eu du mal à passer. Le jour même, Mélanie G., une surveillante scolaire d’un collège à Nogent (Haute-Marne) était poignardée par un collégien de 14 ans lors d’un contrôle de sacs. Face à la forte émotion suscitée par ce meurtre, Emmanuel Macron a tenté de rattraper le coup quelques jours plus tard sur le plateau de France 2, assurant être dans « l’accompagnement, l’affection, et dans l’action ». Marianne vous explique pourquoi renvoyer dos à dos le registre de l’écologie à celui des faits divers n’a pas lieu d’être.

« Affaires criminelles » plutôt que « fait divers »

Non, Emmanuel, la mort d’un surveillant ou d’un professeur n’a rien d’un simple fait divers. Surtout en France, où l’école est officiellement le premier lieu d’apprentissage des valeurs de la République. Comme ceux de Samuel Paty, Dominique Bernard ou Agnès Lassalle avant elle, le « meurtre aggravé » de Mélanie G. est loin d’être un événement sporadique ou accidentel, mais une preuve supplémentaire de l’entrée dans un cycle de violences sans précédent à l’égard du personnel éducatif. Par l’émotion qu’ils suscitent et les séquelles qu’ils auront durablement sur la société – à commencer par la famille de la victime, celle de l’agresseur mais aussi et surtout le personnel éducatif – ces affaires criminelles doivent rigoureusement être nommées pour ce qu’elles sont.

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Aussi car la qualification de « faits divers » justifierait le faible engagement de l’État sur ces questions sur le long terme. Après les annonces « choc » du gouvernement concernant l’interdiction des réseaux sociaux ou de la vente de couteaux aux moins de 15 ans – rappelons que le collégien du lycée de Nogent s’est servi d’un couteau de cuisine récupéré à son domicile –, le ministre de la Santé, Yannick Neuder, a finalement présenté ce mercredi 11 juin les contours de son « plan de santé mentale » pour mieux repérer et soigner les troubles psychiques.

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Est prévu la formation annuelle de 500-600 internes en psychiatrie à compter de 2027, le doublement du nombre de psychologues conventionnés pour le dispositif Mon Soutien Psy d’ici 2027 pour atteindre un total de 12 000 participants et la formation de 300 000 secouristes à la psychiatrie d’urgence. Le bémol ? Ces mesures seront portées à « budget constant ». Autrement dit : sans budget, au vu des restrictions prévues.

Une offre qui répond surtout à la demande

Faudrait-il moins bombarder les Français de contenu sur ce type d’événements ? La demande est pourtant là. Selon un sondage Viavoice pour Ouest-France, France Médias Monde, France Télévisions et Radio France, 69 % des Français se disent intéressés par le traitement journalistique des faits divers – 14 % se disent même « très » intéressés. Rappelons que c’est en France, à la fin du XIXe siècle qu’est née cette terminologie – Le Petit Journal est d’ailleurs le premier journal à en vivre.

L’individu reste attiré par ce qui le dépasse, que cet attrait se traduise par un sentiment de tristesse, de dégoût, de peur ou de désespoir – les émotions les plus citées dans le sondage pour Ouest-France. « Quand quelqu’un commet ce que l’on s’interdit, il y a une sorte de fascination qui peut surgir (…) Il y a toujours une part de transgression dans le fait divers », expliquait en 2018 Patrick Avrane, psychanalyste et auteur de l’ouvrage Les Faits divers (PUF, 2018), interrogé par le magazine Les Inrockuptibles.

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Pas un hasard, donc, si les chaînes d’information en continu de la galaxie Bolloré – CNews en tête – occupent la première place du podium sur ce créneau. S’il est possible de les taxer – légitimement – d’idéologues et les accuser de faire leur beurre sur des affaires sordides – en plus d’en tirer des conclusions très souvent hasardeuses –, reste que ces médias ont flairé l’opportunité de proposer une offre qui répond à cette demande particulière. Comme le sexe fait vendre des films, les affaires criminelles demeurent des objets journalistiques très prisés.

Et s’il fallait encore s’en convaincre, le succès continu du magazine d’enquête criminelle Le Nouveau Détective, vendu à environ 90 000 exemplaires par semaine, ou le bond des ventes des deux numéros de Society consacrés à l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès – le premier numéro a été vendu à plus de 100 000 exemplaires alors que les ventes tournent habituellement autour de 47 000 – suffisent à montrer la curiosité pour ce type de registre.

Traiter la question écologique autrement

Sur le plateau de France 2, Emmanuel Macron vitupérait contre « la tyrannie du fait divers » et le monopole qu’il exerce sur l’agenda médiatique au détriment d’autres événements à l’image de la conférence onusienne sur la protection sur les océans. À sa décharge, l’émission présentée par Léa Salamé et Hugo Clément le 10 juin dernier – pourtant présentée comme une « soirée exceptionnelle » – a en effet fait un bide monstrueux : 1,57 million de téléspectateurs en moyenne selon Médiamétrie, devancée par la série policière « Bellefond » avec Stéphane Bern (3,3 millions de téléspectateurs) et l’émission Koh Lanta (3 millions).

Ce manque d’engouement traduirait-il une inertie hexagonale face à la question écologique ? Pas tout à fait. Si les Français rechignent à se farcir une émission comme celle-ci, c’est peut-être aussi car les grandes réunions institutionnelles, qui ont lieu à huis clos, restent opaques pour le plus grand nombre, et sont souvent peu suivies d’effets. Par ailleurs, nombre de nos compatriotes avaient déjà donné du leur en écoutant les 3 heures d’interview fleuve d’Emmanuel Macron donnée sur TF1 il y a un mois.

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Il serait d’autant plus faux de penser que les Français sont profondément désintéressés de la question écologique : en 2023, 82 % des interviewés exprimaient leur inquiétude face au réchauffement climatique selon une enquête Ifop. Dans une autre enquête, ils étaient 34 % à percevoir le dérèglement climatique comme un danger quasi-immédiat en avril 2025. Soit une progression de 11 points par rapport à 2005.

Mais il y a fort à parier que les Français restent plus attirés par des formats pédagogiques capables de vulgariser des questions scientifiques éminemment techniques. L’émission d’investigation « Sur le front » lancée en 2019 et présentée par l’ancien chroniqueur de Quotidien, dépasse les moyennes d’audience des autres émissions diffusées sur France 5. Autre exemple : la BD de l’ingénieur Jean-Marc Jancovici sur la question nucléaire, Le monde sans fin, vendue à plus d’un million d’exemplaires depuis sa sortie en 2021. Alors cher Emmanuel, ne doutez plus de la capacité de vos compatriotes à s’intéresser à plusieurs sujets à la fois, l’écologie comme les faits divers, il y a de la place pour tout le monde.


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