C’est un derby de la Garonne qui se joue loin des terrains de rugby mais avec des conséquences économiques bien plus importantes. Qui de la centrale nucléaire du Blayais, à 66 kilomètres au nord de Bordeaux, ou de celle de Golfech, à 80 kilomètres au nord-ouest de Toulouse, parviendra à convaincre EDF et l’État d’y implanter une paire de réacteurs EPR 2 (réacteur européen pressurisé) ?
La lutte d’influence bat son plein entre les deux centrales du Sud-Ouest qui figurent parmi les sept sites candidats à l’accueil de cette nouvelle génération de réacteurs nucléaires à l’horizon 2040.
Des atouts techniques à défendre
Alors que six premières paires d’EPR 2 sont déjà attribuées à Penly (Seine-Maritime), Gravelines (Nord) et Bugey (Ain), la deuxième vague doit intervenir fin 2026. La candidature du Blayais s’appuie sur des atouts techniques solides : du foncier disponible, un accès abondant à l’eau froide de l’estuaire de la Gironde et un riche écosystème de formation aux métiers de la maintenance. S’y ajoute la proximité immédiate du poste haute tension de Cubnezais, l’une des extrémités de la future interconnexion électrique avec l’Espagne.
« Le Blayais c’est quatre tranches nucléaires en activité, ce qui implique l’existence d’une industrie locale et de savoir-faire bien en place », appuie Hervé Gayrard, maire de Bayon-sur-Gironde et membre du comité de suivi installé dès 2023. Selon l’Insee, 6.000 personnes vivent directement ou indirectement de la centrale, dans un bassin d’emploi fragile à cheval entre Gironde et Charente-Maritime où le bulletin RN est plébiscité. Mais, à l’inverse, la proximité de l’estuaire pose aussi des questions relatives au risque de submersion de la centrale auxquelles il faudra répondre.
Le préfet au soutien
EDF fondera d’abord son choix sur des critères technico-économiques mais tiendra compte du soutien des territoires. Face au lobbying bien rôdé de la candidature de Nogent-sur-Seine, dans l’Aube, et la proximité géographique de la centrale de Golfech, à seulement 200 km, certains élus néo-aquitains s’inquiètent donc de voir la mobilisation ronronner.
À leur demande, le préfet de région Etienne Guyot est venu en personne début avril réaffirmer son soutien à la démarche et inviter tout un chacun à « amplifier la mobilisation ». Une délégation devrait se rendre à Paris pour rencontrer les ministres de l’Industrie, de l’énergie et de l’aménagement du territoire. « Il faut entretenir la dynamique dans cette course qui est un marathon jusqu’à fin 2026 », reconnaît Lydia Héraud, la présidente du comité de suivi, qui brandit un manifeste signé désormais par plus de 1 400 personnes dont un millier d’élus locaux mais aussi des organisations professionnelles de Gironde et des Charentes.
Passe d’armes au conseil régional
Au conseil régional, une motion de soutien à la candidature du Blayais a été adoptée mi-mars. Un vote tardif sur un texte déposé par les groupes d’opposition LR et Renaissance qui dénoncent un portage politique régional insuffisant. « Il faut aller plus loin, il faut aller plus haut ! », tance ainsi Véronique Hammerer, la conseillère régionale Renaissance.
« Il est indispensable que tout le territoire se mette en ordre de bataille tant les enjeux sont importants en termes d’emplois et de retombées économiques, il ne faut pas relâcher les efforts », juge-t-on également dans l’entourage de Guillaume Guérin, conseiller régional LR et président de Limoges Métropole. La collectivité de Haute-Vienne a d’ailleurs adopté une motion identique et le comité de suivi espère convaincre les agglomérations de Royan mais aussi de Libourne, Angoulême et La Rochelle d’en faire de même.
Alain Rousset, le président de région, a bien volontiers voté la motion de l’opposition tout en rejetant vertement les doutes sur son leadership venant « d’ouvriers de la dernière heure ». L’élu socialiste assure « avoir fait le job depuis dix ans » pour défendre la centrale du Blayais puis la candidature aux EPR 2, notamment sur le plan des compétences en créant un campus de formation aux métiers de maintenance en site sensible. Pourtant, s’il a initié la dernière journée de mobilisation en septembre 2024, Alain Rousset évoque aussi ses doutes à haute voix : « Le vrai problème, c’est que la technologie des EPR 2 est déjà dépassée. L’Europe est en train d’accompagner le passage à la fusion nucléaire et la France n’y est pas, sauf la Nouvelle-Aquitaine grâce au laser mégajoule [installé au Barp, en Gironde]. »
Des voix dissonantes
Mais outre ces réserves et l’opposition des élus écologistes et de l’association antinucléaire TchernoBlaye, la candidature du Blayais souffre aussi de la défection d’Agen, du Lot-et-Garonne et de la CCI Lot-et-Garonne qui soutiennent logiquement celle de Golfech, bien plus proche géographiquement. Mais cela s’ajoute à une autre absence de taille : la communauté de communes de l’Estuaire, qui accueille la centrale de Blayais, n’a toujours pas formellement délibéré pour soutenir le projet, faute d’unanimité. Alors même qu’elle est présidée par Lydia Héraud. « Nous adopterons la motion de soutien au bon moment pour étaler la mobilisation dans le temps et nous avons déjà délibéré à l’échelle du Schéma de cohérence territoriale », répond celle qui préside aussi le comité de suivi.
« Il faut continuer à avancer. C’est Alain Rousset qui a sonné la mobilisation et j’espère qu’il continuera à le faire à l’avenir parce que c’est un projet beaucoup plus stratégique pour le nord de la Gironde que celui de Flying Whales », considère de son côté Hervé Gayrard. Une référence au projet d’usine d’assemblage de dirigeables imaginé par cette entreprise à 40 km de là et très fortement soutenu par la Région Nouvelle-Aquitaine.