Ce lundi matin, à Angoulême, dans une rue étroite et résidentielle non loin des voies ferrées et du fleuve Charente, il y a de l’agitation comme jamais. Plomberie, maçonnerie, isolation, plaquiste : une enfilade de camions d’artisans stationne entre des ballots de placo ou de laine biosourcée prêts à être remués. Autour de la maison de ville d’une surface de 450m² sur trois niveaux, des hommes en tenue de chantier s’écharpent sur le programme des travaux. Sur un projet classique, ces corps de métier ne se croisent jamais. Ici, ils doivent apprendre à travailler ensemble.
« On change les règles du jeu du chantier pour éviter les temps morts. On fait intervenir plusieurs corps de métier en même temps, c’est comme ça qu’on arrive à aller plus vite », organise Divya Muzumdar, responsable développement durable de la foncière Investir Ensemble Nouvelle-Aquitaine. Ce qui n’est pas sans créer quelques turbulences. Mais voilà comment en cinq à six jours, cette coopérative espère transformer cette passoire thermique en logements accessibles aux étudiants et aux revenus modestes. L’opération est chiffrée à 650.000 euros, acquisition comprise.
Les matériaux biosourcés sont privilégiés tels que l’isolant à base de chanvre, coton et lin. (crédits : MG / La Tribune)
Calculs de DPE
À l’intérieur, les soixante associés – tous investisseurs dans la coopérative – sont dirigés par une quarantaine d’artisans. Les câbles électriques montent le long des murs à travers les étages tandis que les nouvelles paires de fenêtres sont hissées par les escaliers. La plupart des volontaires ont posé une semaine de congés pour œuvrer à ce chantier très coopératif. « Je trouve ça très bien d’impliquer les investisseurs du projet. On découvre de nouveaux matériaux qu’on peut ensuite chacun utiliser pour rénover nos maisons. Si on ne cherchait que la rentabilité, on aurait fait une SCPI [Société civile de placement immobilier, ndlr] et on aurait la paix ! », développe Olivier, investisseur sur le projet, casque sur la tête.
L’ambition n’est pas seulement d’aller vite, il s’agit aussi d’être performant sur la qualité des habitations. L’objectif est carrément de faire passer le Diagnostic de performance énergétique de cette vieille bâtisse abandonnée depuis 20 ans de G à A. Presque impossible dans l’immobilier très ancien. Mais le fondateur de toute cette entreprise, Frédéric Pedro, pense avoir « craqué le code ».
À force d’étudier avec des artisans les rouages du mode de calcul des DPE, la foncière dit être capable de gagner des points sur plusieurs postes (isolation, matériaux biosourcés, chauffage…). « En étudiant les algorithmes, on est parvenu à créer un formulaire sur Excel qui donne une indication de DPE en entrant les opérations de rénovation qu’on souhaite y réaliser », explique cet ancien entrepreneur du numérique et du jeu vidéo.
Des millions de passoires thermiques
Avec deux levées de fonds à son actif pour un financement total de 9 millions d’euros, la foncière s’est portée acquéreuse de 22 ensembles immobiliers sur la Nouvelle-Aquitaine. Dix ont pour l’heure été rénovés, sans pour autant forcément atteindre la lettre A en matière de DPE. La coopérative vise les villes moyennes pour s’étendre et veut lutter en faveur du logement décent dans les centres-bourg. Et cela alors que le gouvernement vient d’annoncer la suspension du dispositif d’aide à la rénovation Ma Prime Rénov’. Un exemple qui illustre ô combien le sujet de la réhabilitation du parc immobilier est périlleux.
Frédéric Pedro autour des associés de la coopérative. (crédits : MG / La Tribune)
« Je nous vois un peu comme une étincelle là-dedans. On a trouvé la clé et maintenant, on veut bien expliquer à tous ceux qui le souhaitent comment on peut organiser de tels chantiers », motive Frédéric Pedro. La coopérative, que certains voient comme « un think tank qui agit », se projette au moins à dix ans. D’ici là, tous les loyers perçus serviront à financer les nouvelles actions de réhabilitation. Ensuite seulement, les actionnaires pourront toucher une part des revenus. Ils sont pour l’instant 220, sélectionnés sur leur bon vouloir à participer à des chantiers une ou plusieurs fois dans l’année.
Face à la crise de la construction et aux 5 millions de passoires énergétiques en France (Ministère de la Transition écologique, 2022), les mouvements citoyens sont amenés à prendre de l’ampleur. Notamment grâce à la démarche soutenue par l’Union Européenne nommée HouseEurope !, qui réclame des réductions fiscales dans le cadre de travaux de rénovation et des « règles équitables » pour évaluer les potentialités des bâtiments existants. « Le bâtiment est le premier poste d’émissions carbone. Il faut en finir », clame Frédéric Pedro. Destin désormais en marche.