“On peut aimer ou non la formule de ‘patriotisme économique’ mais l’urgence qu’elle désigne est indiscutable”

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“On peut aimer ou non la formule de ‘patriotisme économique’ mais l’urgence qu’elle désigne est indiscutable”





















« Notons également qu’en France, accoler ces deux mots (patriotisme et économie) réveille immanquablement de vieux fantasmes d’on ne sait quel retour au protectionnisme et au paternalisme étatique… »
Philippe Turpin / Photononstop

Tribune

Par Éric Delbecque

Publié le

Le ministre de l’Industrie Éric Lombard a appelé au « patriotisme économique » des industriels français. À juste titre, bien que la France se soit montrée jusqu’ici timorée en la matière, juge Eric Delbecque, expert en sécurité intérieure et en intelligence économique, auteur de « Quel patriotisme économique ? » (PUF) et « L’intelligence économique pour les nuls » (First).

Face à la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump, le ministre de l’Économie a relayé, voici quelques jours, la volonté d’Emmanuel Macron de suspendre les investissements français aux États-Unis. Cette position fait bien sûr suite aux droits de douane massifs imposés par Donald Trump. Une riposte européenne est en préparation, expliquait-il, allant au-delà des simples taxes douanières. Le ministre a insisté sur une réponse ciblée afin d’éviter des effets négatifs sur l’économie européenne.

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En guise d’exhortation aux dirigeants d’entreprises, Éric Lombard en appelle à leur « patriotisme économique ». Il a mis en garde contre le risque de donner un avantage stratégique aux Américains. Pour avoir fait partie de ceux qui ont écrit et travaillé en faveur de cette notion, je ne le contredirai pas aujourd’hui. Je note néanmoins que l’État s’est montré jusqu’ici bien timoré en la matière et que nous n’avons pas mené la réflexion préalable nécessaire à sa pleine intégration au sein de notre tissu économique (en France comme en Europe), ni engagé la politique que ce concept réclame.

Il me semble donc utile de rappeler quelques principes fondamentaux. Dorénavant, les acteurs étatiques rivalisent durement pour la maîtrise des sources d’énergie, la conquête de marchés stratégiques et le contrôle des technologies les plus innovantes. En résumé, la « guerre économique » existe bel et bien et la concurrence internationale laisse apparaître sous l’économie de marché des stratégies d’accroissement de puissance nationales. Ces dernières reposent sur des enjeux économiques et révèlent l’alliance d’intérêts publics et privés pour atteindre des objectifs partagés. Tout cela n’est pas nouveau, voici 35 ans que nous le savons, mais le style de Trump et l’échiquier des affrontements entre les Etats-Unis, la Chine et la Russie le rend évident pour tout un chacun.

Mais la France éprouve encore des difficultés à mettre en œuvre ces stratégies de connivence et de coopération public/privé. Nos difficultés dans le domaine de l’élaboration d’une politique énergétique digne d’un véritable « patriotisme économique » et de l’Europe puissance, notre peine à construire une souveraineté sanitaire, nos errements dans le dossier Alstom, prouvent aujourd’hui et prouvèrent dans le passé notre manque total de maturité sur ce sujet clef.

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Notons également qu’en France, accoler ces deux mots (patriotisme et économie) réveille immanquablement de vieux fantasmes d’on ne sait quel retour au protectionnisme et au paternalisme étatique… Le problème est que ce débat stérile cache l’enjeu réel de la croissance française, à savoir l’impérieuse nécessité de mettre en place une véritable stratégie globale de sécurité et d’accroissement de puissance économiques (industrielle, commerciale et financière). Ce qu’il faut admettre, c’est que le débat sur les mots et ici totalement accessoire ; on peut aimer la formule de « patriotisme économique » ou la juger un peu surannée, voire maladroite : mais l’urgence qu’elle désigne est indiscutable.

Il s’agit en fait pour la France de penser un authentique développement économique durable. Bien entendu, le patriotisme économique, ou ce qu’il serait préférable d’appeler la stratégie de sécurité et de compétitivité économique nationale, devra s’insérer dans le cadre européen. Il serait donc nécessaire de penser un dispositif de l’Union, fondé sur la réciprocité des conditions faites à l’investissement et à l’activité économique étrangers. Sans doute faudrait-il construire pour de bon un Exon Florio européen (ce texte américain permet de contrôler les investissements étrangers dans les secteurs sensibles) et élaborer enfin une authentique politique industrielle européenne ; celle-ci ne doit pas être un dirigisme étouffant mais une stratégie d’appui aux entreprises (formation, production de connaissances, cadre légal adapté, etc.).

Au final, voici ce que devrait être le « patriotisme économique », et ce qu’il n’est pas :

Le patriotisme économique ne doit pas être un protectionnisme ou un dirigisme. Il doit aller de pair avec une politique d’ouverture au monde et d’innovation. Son objectif premier est de nous permettre de profiter des échanges, pas de les condamner stérilement et indistinctement.

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Le patriotisme économique doit viser à concilier les intérêts de la sphère publique et ceux des entreprises à travers des synergies audacieuses : il s’agit de construire l’État stratège et partenaire. Il n’est pas le refus de toute dépendance mais la volonté de construire des dépendances réciproques et de mettre en place des logiques de réciprocité.

Le patriotisme économique repose sur des formes rénovées de politique industrielle et d’aménagement du territoire (dont les pôles de compétitivité furent une illustration majeure).

Le patriotisme économique doit être national, mais aussi européen. Il est un des piliers fondateurs de l’Europe puissance, de l’Europe politique. Plus que jamais, dans des secteurs stratégiques comme la défense, la préférence européenne doit constituer un horizon à atteindre.

Ce que le « patriotisme économique » n’est pas et ne doit pas être ? Un repli sur soi nationaliste, un dispositif protectionniste, le prétexte d’un interventionnisme désordonné ou d’une bureaucratie numérique envahissante et inefficace.

Ce que le « patriotisme économique » doit viser ? La préservation du périmètre économique stratégique de souveraineté, la vitalité et le développement des territoires, la construction d’une véritable Europe puissance.

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Ce que le « patriotisme économique » doit faire naître ? Une culture de la réussite et de la puissance nationale et européenne qui dépasse l’absurde clivage public/privé et donne corps au projet d’Europe des nations, unies et solidaires, un partenariat public/privé au profit des entreprises, c’est-à-dire de l’emploi et du citoyen, un dispositif d’influence français à l’échelle européenne et internationale destinée à favoriser la noble idée de l’Union comme puissance d’équilibre dans le jeu planétaire.

Ce que le « patriotisme économique » exige ? Une forme rénovée de politique économique et d’aménagement du territoire : un pilotage stratégique et non plus une substitution aux acteurs, une obsession de la prospective, de l’anticipation stratégique et de l’innovation maîtrisée, une révolution des élites et une métamorphose de la culture politique court-termiste. Vaste programme…


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