Le début d’année 2025 focalise l’attention sur les États-Unis, l’Europe, l’Ukraine, la Chine et la Russie, mais les effets de bord sont aussi notables avec un continent peu évoqué qu’est l’Afrique. L’annonce en ce début mai de l’arrêt de la contribution des États-Unis aux fonds de la Banque africaine de Développement (BAD) pour 500 millions de dollars, vise pour la première fois directement le continent, l’arrêt brutal de l’USAID avait un impact plus large : le premier pays concerné par l’USAID était l’Ukraine même si financière cela représente plus de 15 milliards de dollars impactés pour une quinzaine de pays africains dont le Congo RDC, le soudan, l’Égypte sur des préoccupations alimentaires et de santé (paludisme, Sida).
Dès le début de l’invasion par la Russie de l’Ukraine, les impacts ont été lourds en Afrique. Deux exemples illustrent cela : l’impact sur le coup de la vie sur des produits de base tel le pain, beaucoup de pays africains dépendants des approvisionnements ukrainiens et russes ; les actions dans un grand nombre de pays du continent des agents russes au premier rang desquels Wagner.
La donne nouvelle continue d’avoir des impacts sur le continent. Le désengagement de Wagner (mobilisé sur d’autres terrains), l’échec russe en Syrie font vaciller des certitudes sur « l’allié russe » tandis que les choix de la nouvelle administration américaine ont aussi un impact fort.
Il s’agit peut-être là du moment de revoir aussi les liens entre l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) dans le cadre de ces bouleversements. Les sujets économiques, de défense et migratoire sont au cœur de ce partenariat à renouveler.
L’Union européenne est le premier partenaire commercial de l’Afrique devant la Chine et les États-Unis, représentant près de quatre dixièmes de son commerce extérieur. Elle représente la même proportion des investissements directs à l’étranger (IDE) en Afrique. Ces échanges sont favorisés par la proximité géographique des marchés, par la croissance observée en Afrique bien supérieure à celle de l’Europe, par la démographie qui fait de l’Afrique un marché jeune.
Des négociations entre l’Union européenne et l’Afrique pourraient se concevoir comme un laboratoire sur de nouveaux principes que les deux continents souhaiteraient voir adopter au niveau mondial : soutenabilité des secteurs économiques, mécanismes de compensation repensés, mise en avant d’un « mieux-disant » environnemental et social. Les deux continents, filières par filières, pourraient convenir d’un « protectionnisme » bilatéral intelligent au bénéfice des deux ensembles. Ainsi valoriser les ressources naturelles de l’Afrique (le continent est bien plus riche en cela que l’Ukraine ce que les Chinois ont bien compris) tout en permettant une partie d’industrialisation du continent. L’enjeu pour l’Europe de réindustrialiser certaines industries (pharmacie, défense) pourrait passer par un mixte avec l’Afrique comme l’industrie automobile a su le faire.
Le partenariat de l’UE et de l’UA en matière de sécurité et de défense devrait permettre de répondre à deux principaux enjeux : renforcer l’autonomie financière de l’Afrique en matière militaire et garantir la capacité institutionnelle et militaire africaine à répondre aux crises. Les moyens de l’Union africaine restent en effet à ce jour limités : l’Architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS) dépend presque entièrement de financements extérieurs (dont l’Union européenne, Nations unies, mais aussi États-Unis, Russie, Chine) tandis que la Force africaine en attente, composante militaire de l’AAPS, rencontre des difficultés opérationnelles à répondre aux menaces sur le continent. Si la paix sur le continent africain est en premier lieu de la responsabilité des Africains, le soutien européen est indispensable pour mettre les pays africains en mesure de la garantir. Dans le cadre d’un renforcement de la défense européenne, l’Afrique doit être intégré dans les réflexions, car abandonné le continent à d’autres influences peut à terme se révéler une catastrophe. Dans les scénarios de l’armée française (Alexandra Saviana, Robert Lafont, 2024) l’Afrique concerne 4 des 11 scénarios soit autant que la Russie !
Le troisième domaine clé est celui des migrations. Même si l’essentiel des migrations en Afrique sont intra-africaines le contexte peut aller dans le développement des migrations africaines vers l’Europe. Contrairement aux idées reçues, aucune d’étude sérieuse n’a pu mesurer de manière systémique la corrélation directe entre croissance économique, dynamique démographique et émigration (Base bilatérale des migrations utilisée pour établir les statistiques de l’OCDE, la Banque Mondiale, le FMI…). Cependant les événements récents peuvent sous-tendre que si n’ait rien fait l’immigration venant d’Afrique va augmenter non pas uniquement pour les raisons « classiques » (doublement de la population africaine, proximité avec l’Europe, proximité linguistique avec l’anglais, le français et dans une moindre mesure le portugais), mais bien deux raisons liées notamment aux décisions de la nouvelle administration américaine. D’une part l’impact négatif sur l’aide humanitaire et d’autre part le déni de risque climatique alors que le continent est celui qui souffre le plus avec le phénomène de migration climatique. Là encore, une logique de travail en commun UE-UA sur ce sujet fait sens pour éviter que la mer méditerranée ne devienne encore plus la « frontière » la plus mortelle du monde.
Ces sujets ne sont pas les seuls (financement de l’économie africaine, formation des jeunes, etc.), mais ils montrent que dans l’analyse holistique de la crise actuelle, l’Afrique ne doit pas être sortie de l’équation
Jean-Michel Huet