ar« Vous tapez sur nous tout le temps ! » C’est par ces mots que le président du PSG Nasser Al Khelaifi savourait sa victoire face aux journalistes présents à Munich pour le sacre du club de foot, désormais numéro un du championnat de Ligue 1 ! Et quelque part sa revanche aussi ! Tant de Parisiens l’attendaient et beaucoup critiquaient depuis de nombreuses années la responsabilité de l’argent-roi et que finalement ce dernier ne faisait pas tout. Les temps n’ont pas été toujours faciles, preuve que seul l’argent ne suffit pas.
Or cette fois-ci, la stratégie du Qatar, au-delà d’avoir misé comme beaucoup de ses voisins rivaux sur un club sportif à haut potentiel, a été payante. Cela concourt d’un véritable intérêt pour le football, mais aussi de son « soft power » pour la discipline sportive la plus populaire au monde. Hisser le PSG au rang de champion d’Europe est l’aboutissement de près de 15 ans d’efforts et aussi d’investissements. Fier organisateur de la coupe du Monde de football en 2022, Doha confirme son rôle clé dans le sport mondial, un moyen pour lui de briller autrement que par la politique, en séduisant davantage d’Occidentaux et en allant les chercher sur leur terrain de jeux et leurs passions.
Le Qatar pionnier dans le foot européen
Ces dernières années, le paysage du football européen s’est transformé sous l’effet d’investissements massifs venus d’un horizon lointain, mais de plus en plus central : la région du Golfe. Le Qatar avec le Paris Saint-Germain, les Émirats arabes unis avec Manchester City, ou plus récemment l’Arabie saoudite via le rachat de Newcastle United. Ces opérations ne relèvent pas d’un simple caprice de milliardaires, mais s’inscrivent dans une stratégie globale de « soft power », où le sport devient un levier d’influence, d’image et de diplomatie. Il s’agit avant tout d’un outil de puissance douce, un moyen d’asseoir leur influence à l’échelle internationale, de redorer leur image souvent dépréciée, y compris au sein des pays arabes.
Dès 2011, le Qatar a été pionnier dans cette stratégie avec l’acquisition du PSG via Qatar Sports Investments, mais aussi à travers l’organisation de la Coupe du monde 2022. En mobilisant le football, Doha a réussi à placer le pays sur la carte du monde autrement que par son gaz, ses investissements économiques ou ses ambitions régionales, politiques et diplomatiques. L’objectif était clair : transformer un petit émirat en un acteur incontournable du jeu diplomatique mondial.
Concurrence des pays du Golfe
Pour les Émirats arabes unis, l’achat de Manchester City par le fonds souverain d’Abu Dhabi s’inscrit dans une démarche similaire. Il s’agit d’un investissement d’image : valoriser les Émirats comme une puissance moderne, cosmopolite, tournée vers la jeunesse et l’innovation.
Le succès sportif du club a été un outil formidable pour appuyer cette narrative. Ces initiatives s’inscrivent aussi dans les stratégies nationales de diversification économique, comme les plans Vision 2030 de l’Arabie saoudite ou des Émirats. Le sport est vu comme une industrie d’avenir et un moteur de transformation interne, de tourisme, d’éducation, et même de diplomatie économique. Riyad a longtemps observé ses voisins avant d’entrer dans la danse. Mais depuis 2021, le royaume a adopté une stratégie agressive pour compenser son large retard : rachat de Newcastle United, création d’un championnat national attractif avec des stars mondiales, candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2034.
Pour Mohammed ben Salmane, le sport est un accélérateur de la normalisation internationale du royaume, encore perçu comme conservateur et autoritaire. Peu cependant croient encore à une mutation rapide du pays. En rachetant des clubs anglais ou espagnols, Riyad vise aussi à s’inscrire dans le quotidien de millions de fans européens depuis Riyad, Doha ou Abu Dhabi et sur qui tous les projecteurs et médias sont braqués le temps d’une compétition.
Le « soft power » du XXIe siècle sera sportif
Les pays du Golfe ont l’art de se rendre indispensable et qu’on fasse parler d’eux. Au milieu du chaos, des crises politiques, le sport restera l’un des derniers outils du dialogue et du rapprochement des peuples. Ce que font les monarchies du Golfe avec le football n’est que la version moderne de ce que faisaient les États-Unis avec Hollywood, ou la France avec la Francophonie. Il s’agit de conquérir les esprits, les cœurs et les récits. Le sport est un vecteur puissant, accessible, universel.
En contrôlant ce levier, les pays du Golfe veulent transformer leur perception mondiale, asseoir leur légitimité, et devenir des acteurs centraux du monde multipolaire. La victoire du PSG ce week-end est un exemple de réussite pour le Qatar, comme l’a été la Coupe du Monde. La prochaine Coupe qui se tiendra entre les États-Unis, le Canada, et le Mexique, sera aussi un moyen pour l’Occident de reprendre la main et de montrer qu’il a toujours du contrôle et du talent dans le sport le plus populaire au monde.
(*) Docteur en sciences politiques, chercheur monde arabe et géopolitique, enseignant en relations internationales à l’IHECS (Bruxelles), associé au Cnam Paris (équipe Sécurité Défense), à l’Institut d’études de géopolitique appliquée (IÉGA Paris), au Nordic Center for Conflict Transformation (NCCT Stockholm) et à l’Observatoire géostratégique de Genève (Suisse).
Sébastien Boussois