L’histoire des droits sociaux est celle d’une conquête progressive, d’une lutte incessante contre l’ignorance, le mépris et l’inertie institutionnelle. Chaque avancée en matière de justice sociale a, dans notre histoire, été d’abord un combat. Cette réalité est particulièrement flagrante en ce qui concerne les droits des femmes. Et la reconnaissance des douleurs menstruelles n’échappe pas à la règle. Après de nombreux échecs législatifs, il est impératif de reconnaitre ce sujet comme une réalité médicale et sociale qui mérite une réponse politique.
Les douleurs menstruelles, ou dysménorrhées, affectent une proportion significative de femmes en France. Selon une étude de l’Inserm, 90 % des femmes âgées de 18 à 49 ans éprouvent des règles douloureuses, avec 40 % souffrant de dysménorrhées modérées à sévères. Par ailleurs, l’endométriose touche environ 10 % des femmes en âge de procréer, soit entre 1,5 et 2,5 millions de femmes en France Ces douleurs peuvent être si intenses qu’elles entravent la capacité des femmes à travailler, les plaçant devant un choix difficile : endurer la souffrance au travail ou s’absenter, souvent au détriment de leur rémunération ou de leur parcours professionnel.
Face à cette réalité, plusieurs collectivités territoriales ont tenté d’instaurer des autorisations spéciales d’absence pour les agentes souffrant de règles douloureuses. Cependant, en novembre 2024, le Juge des référés du Tribunal administratif de Toulouse a suspendu ces initiatives, arguant de l’absence de base légale pour de telles mesures. Cette décision souligne la nécessité d’une intervention législative ou réglementaire pour encadrer et généraliser le congé menstruel, qu’il serait d’ailleurs plus juste de nommer « arrêt menstruel ».
Malheureusement, les tentatives législatives en ce sens ont échoué. La proposition de loi, déposée à l’Assemblée nationale le 10 mai 2023, a été rejetée par le Sénat le 15 février 2024. Une seconde proposition, présentée le 20 février 2024, n’a pu être examinée en raison de la dissolution de l’Assemblée nationale en juin 2024. Dans le contexte d’une Assemblée Nationale qui penche à l’extrême-droite et d’un gouvernement aux abonnés absents, les chances de voir une initiative législative déboucher sont désormais quasi-nulles. Pourtant, la nécessité de cette mesure de dignité est là. Notre société ne peut accepter que les femmes vivent leurs douleurs comme une implacable fatalité. D’autant que, comme souvent, ce sont d’abord les plus fragiles qui ne peuvent se permettre de prendre des jours de congés ou de carence.
L’instauration d’un arrêt menstruel par décret permettrait de pallier l’absence de législation et d’offrir une réponse immédiate aux femmes.
Des initiatives locales démontrent la faisabilité et l’acceptabilité de cet arrêt menstruel. Des municipalités comme Saint-Ouen, Lyon et Strasbourg, ainsi que des entreprises telles que Carrefour, ont mis en place des dispositifs permettant aux femmes de s’absenter en cas de règles douloureuses. Ces expériences montrent qu’il n’y a ni abus, ni stigmatisation.
Il est désormais temps. Oui, il est enfin temps que le gouvernement prenne ses responsabilités en matière de santé publique et d’égalité professionnelle. L’instauration d’un arrêt menstruel par décret permettrait de pallier l’absence de législation et d’offrir une réponse immédiate aux femmes souffrant de dysménorrhées sévères. Cette mesure, déjà adoptée dans des pays comme l’Espagne, le Japon ou la Corée du Sud, contribuerait à briser le tabou des règles douloureuses et à promouvoir un environnement de travail plus inclusif et équitable.
Après l’inscription de l’IVG dans la Constitution, après l’instauration du congés fausse-couche, il est impératif de reconnaître et de soutenir la santé des femmes au travail, non seulement pour leur bien-être, mais aussi pour favoriser une société plus juste et égalitaire.
C’est pourquoi, je demande au gouvernement d’agir dès maintenant et de prendre ses responsabilités en instaurant par décret la reconnaissance de ce droit. Soyons clair : Un État qui refuse de voir la souffrance de la moitié de sa population trahit ses principes d’égalité et de justice. La dignité et la santé des femmes ne sont pas des options. Ce doit être une exigence pour notre société.
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Emmanuel Grégoire