De l’ordre de 5% à 8% par an au cours des trois dernières années, la progression des dépenses de santé demeure insuffisante pour rétablir l’équilibre financier des établissements de santé publics, confrontés à la hausse de leurs charges et salaires. Exsangues, des établissements d’utilité publique, comme l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM), pourraient si rien n’est fait perdre leurs activités de pointe, privant leurs patients d’une offre essentielle, et la recherche française de pôles d’excellence inégalés.
Dans les salles d’opération des hôpitaux, arrêter une hémorragie est un acte nécessaire et même vital. Pourquoi en irait-il différemment quand le patient se trouve être l’hôpital lui-même ? Car c’est bien une hémorragie, financière cette fois, à laquelle nos établissements sont confrontés. Fin 2024, le déficit cumulé des hôpitaux publics (hors Ehpad) atteignait en effet 3,5 milliards d’euros. Et sept établissements sur dix se trouvaient en insuffisance d’autofinancement. Nous ne pouvons donc que rejoindre la Fédération hospitalière de France (FHF) lorsqu’elle s’alarme d’une situation « gravissime (et) extrêmement préoccupante ».
L’Institut Mutualiste Montsouris, victime malgré lui d’un système de santé à la dérive
Pour éviter de sombrer plus avant dans une spirale de la dette, nombre d’hôpitaux seront contraints de sous-investir ; au détriment, comme toujours, de leurs patients et de leurs propres personnels. D’autres encore n’auront d’autre choix que de se résoudre à mettre la clé sous la porte ; les unités de pédiatrie, de psychiatrie ou de greffe sont particulièrement menacées. À l’image, par exemple, du service de psychiatrie de l’Institut Mutualiste Montsouris (IMM), un ESPIC parisien qui a été placé en redressement judiciaire le 3 février, en dépit d’une augmentation de +22% de son activité depuis trois ans.
La gestion de l’IMM n’est pourtant pas en cause. Comme le déplorait récemment son chef du département de psychiatrie de l’adolescent et du jeune adulte, le professeur Maurice Corcos, « les difficultés de l’IMM sont symptomatiques d’une crise plus grave et plus large de notre système de santé ». Non que les causes de cette crise soient mystérieuses : elles reposent sur l’augmentation, graduelle, des besoins financiers depuis la pandémie de Covid-19, mais aussi sur la revalorisation des salaires des personnels à la suite des accords du « Ségur de la Santé ».
Aux quatre coins du pays, l’hôpital en souffrance
L’IMM est donc loin, très loin, malheureusement, d’être un cas isolé. Aux quatre coins du pays, l’hôpital public est en souffrance : en région parisienne, où faute d’un soutien financier suffisant l’AP-HP accuse en 2024 un déficit plus important qu’anticipé (460 millions d’euros), et ce en dépit – comme à l’IMM – d’une bonne gestion et d’une activité en hausse ; à Marseille, où l’AP-HM fait état d’une « dette historique » et appelle l’État à son chevet ; à Saint-Étienne, où fin mars a fermé une unité psychiatrique, l’UA4, dédiée aux patients les plus vulnérables ; à Nantes, au Mans, à Angers, Rennes, Caen, Pau, où, faute de personnel, les fermetures de lits en psychiatrie mettent en danger soignants comme patients. En tout depuis 2013, ce sont plus de 43 000 lits d’hospitalisation complète qui ont été supprimés en France ; soit une baisse de plus de 10%.
Minoritaires en France, les ESPIC, établissements privés à but non lucratif, ne sont pas épargnés par cette inquiétante vague de fond. Peu connus du grand public, ces hôpitaux jouent pourtant un rôle clé dans le service public hospitalier. Ils proposent bien souvent des activités de pointe, absentes des établissements plus généralistes, tout en participant activement à la formation de nombreux internes et étudiants paramédicaux. Mais ils subissent de plein fouet les contraintes budgétaires imposées par les gouvernements successifs, qui fragilisent leur modèle pourtant éprouvé et plébiscité par leurs patients.
La situation de l’IMM cristallise, à elle seule, l’impasse dans laquelle les politiques publiques précipitent notre système de santé. Régulièrement classé parmi les cinquante meilleurs hôpitaux français, spécialiste incontesté des cancers de la vessie et de la prostate, référence en matière de pédopsychiatrie, l’ESPIC peut se targuer d’une bonne gouvernance, son chiffre d’affaires ayant augmenté de 12% en trois ans. Mais l’augmentation de son activité a paradoxalement plongé ses comptes, déjà affectés par l’amortissement de sa construction, dans le rouge. Un non-sens.
Des réformes pour un meilleur pilotage
L’hôpital français n’est pourtant pas condamné à un lent et irrémédiable déclin. Publié en 2023, un rapport de la Cour des comptes démontre qu’au-delà de l’insuffisance des financements, c’est un pilotage défaillant de l’argent public qui mène nos établissements dans le mur. D’un montant de 6,5 milliards d’euros d’ici à 2029, les aides à la restauration des capacités financières des hôpitaux publics et des ESPIC ont été distribuées à 80% des hôpitaux publics, au détriment des établissements qui en avaient prioritairement besoin pour redresser leurs comptes. Nous n’y voyons pas une fatalité.
Les aides publiques peuvent retrouver leur efficacité si elles ciblent les hôpitaux en situation critique. À condition d’être ambitieuses, des réformes peuvent garantir la pérennité du système hospitalier, en adoptant par exemple une logique de planification pluriannuelle. Enfin, cette crise doit être l’occasion de remettre sur la table la question de l’excellence médicale universitaire, en soutenant les établissements de référence, qu’ils soient publics ou privés : l’IMM, toujours lui, ne se contente pas de briller en termes strictement médicaux ; il se distingue aussi par l’excellence de son pôle universitaire et de sa recherche, et pas uniquement par la qualité de son enseignement. Allons-nous vraiment nous priver, par incurie collective, de tels joyaux ?
(*) Didier Bazzocchi, Président du Think tank CRAPS ; Jean de Kervasdoué, Professeur émérite au CNAM et Guy Vallancien, chirurgien urologue, membre de l’Académie nationale de médecine
Didier Bazzocchi, Jean de Kervasdoué et Guy Vallancien