Trois ans après le scandale Orpea, le regard porté sur les Ehpad par les Français reste empreint de méfiance. Mais dans les Ehpad, il y a des sourires, des projets, des familles rassurées, des résidents heureux de vivre des moments partagés, d’être entourés et respectés. Ces histoires méritent, elles aussi, d’être racontées.
Nous avons besoin d’un regard plus juste et plus équilibré. Et cela pour redonner confiance, pour attirer de nouveaux talents, pour faire rayonner ce secteur de l’accompagnement du grand âge, qui est au cœur de notre société. Le vaste plan de contrôle engagé à l’échelle nationale a été un signal fort : les pouvoirs publics ont voulu reprendre la main.
Ce travail d’inspection était nécessaire. Il a permis de corriger certaines pratiques, d’imposer de nouvelles exigences et de rappeler que la transparence dans l’utilisation de l’argent public est une obligation, pas une option.
Les Français sont nombreux à le dire : l’Ehpad doit rester un lieu de vie humain, et non un business center / un centre dédié au profit. Mais ce plan a aussi eu un effet collatéral : en jetant un soupçon généralisé sur toute une profession, il a fragilisé davantage un secteur déjà sous tension. Il aurait fallu cibler les contrôles plutôt que de généraliser, pour ne pas décourager celles et ceux qui travaillent avec conscience et dévouement. Car pendant que l’on inspectait, les Ehpad, eux, luttaient pour tenir debout, avec peu de moyens.
La réalité est crue : de nombreux établissements sont aujourd’hui en déficit.
Des lois ont été récemment votées en faveur des Ehpad : le Ségur de la santé pour améliorer les conditions salariales des professionnels, le droit de visite à tout moment, ou encore l’accueil des animaux en Ehpad pour les personnes autonomes… Bon, cela reste à revoir, car on ne rentre pas en Ehpad si l’on est totalement autonome.
La réalité est crue : de nombreux établissements sont aujourd’hui en déficit. Et l’année 2025 risque de marquer le début d’une vague de fermetures – qu’ils soient publics, privés ou associatifs – avec, à la clé, des suppressions de postes dans un secteur qui, paradoxalement, manque cruellement de bras, de cœurs et de compétences.
Dans les zones rurales, la fermeture d’un Ehpad serait douloureuse car il est souvent le premier employeur de la commune. En outre, il constitue un lieu de vie, de lien social, un service public de proximité essentiel. Sa disparition, c’est l’isolement accru des personnes âgées, la disparition d’emplois non délocalisables, la perte d’un repère pour les familles, un affaiblissement du tissu social local.
Pour survivre, certains établissements sont contraints d’envisager des choix douloureux : réduire les effectifs qui ne sont pas en contact direct avec les résidents, retarder des travaux urgents, geler des projets pourtant nécessaires. Et non, il ne s’agit pas de confort superflu, mais bien de climatisation pendant les vagues de chaleur, d’accessibilité, de sécurité, de dignité. Le dérèglement climatique aggrave les vulnérabilités des résidents.
Mettre du personnel en plus, c’est essentiel.
Le vrai débat ne se résume pas à une question de gouvernance ou de contrôle. C’est une question de moyens, d’effectifs, de reconnaissance. Les professionnels sont à bout. Ils tiennent encore grâce à leur engagement, leur humanité. Mais ils ne peuvent pas tout porter seuls.
Mettre du personnel en plus, c’est essentiel. C’est ce qui permettra de réduire la charge de travail, d’améliorer l’accompagnement des résidents, et de rendre ces métiers enfin attractifs, avec des conditions de travail dignes du rôle qu’ils jouent. Il faut aussi former massivement le personnel. Mieux associer et impliquer les médecins, c’est éviter des hospitalisations inutiles et permettre une prise en charge plus adaptée, sur place, en lien avec les équipes de soin.
Nous avons besoin d’une loi Grand Âge. Une loi qui n’attend plus, qui ne repousse plus les arbitrages, qui donne au secteur les moyens d’agir. Une loi qui investit dans l’humain : embauche, formation, revalorisation des métiers. Il est inacceptable que des professionnels ne soient pas formés à l’accompagnement de la fin de vie, aux troubles cognitifs, ou même à l’hygiène bucco-dentaire – un besoin fondamental, trop souvent négligé.
Il faut aussi soutenir concrètement les établissements dans leur transformation. Rénover, adapter, sécuriser, installer la climatisation partout : ce n’est pas du luxe. C’est le socle d’un vieillissement digne. Les directions doivent pouvoir travailler en confiance avec les Agences Régionales de Santé (ARS). Les ARS doivent devenir des partenaires de terrain, au service d’une amélioration continue, adaptée aux réalités locales.
Nous allons vieillir. Tous. Ce qui se joue aujourd’hui dans les Ehpad, c’est notre rapport à la vulnérabilité, à la solidarité, à la dignité. Allons-nous continuer à laisser les établissements s’épuiser ou aurons-nous le courage politique d’assumer le coût de la dépendance ? Toutes les formations politiques doivent agir. Il est encore temps d’agir. Mais les choix ne peuvent plus attendre.
Oui, il faudra trouver des financements nouveaux pour faire face à un véritable tsunami démographique. Faut-il supprimer un jour férié ? Faut-il travailler un peu plus pour aider nos anciens ? Le débat doit avoir lieu. Mais il doit s’organiser rapidement. Parce que pendant que l’on tergiverse, les Ehpad, eux, ferment. Et la société s’affaiblit.
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Par Danny Forster, directeur d’Ehpad public