Lorsqu’il est question des seniors dans le débat public, le ton devient vite tendu, conflictuel. L’enjeu de leur emploi est souvent traité à travers le prisme des retraites, du vieillissement de la population, ou encore du coût social et économique qu’ils représenteraient.
Pourtant, sur le terrain, une autre réalité se dessine. À l’échelle de l’entreprise, l’approche est plus pragmatique, et le dialogue social, loin d’être bloqué, fonctionne.
De nombreux accords d’entreprise sur l’emploi des seniors reposent en effet sur des dispositifs adaptés au contexte spécifique de chaque organisation : ses métiers, ses enjeux économiques, ses dynamiques sociales, mais aussi son ancrage territorial. Prenons l’exemple de cette entreprise artisanale spécialisée dans la restauration du patrimoine, employant tailleurs de pierre ou ferronniers, métiers physiquement exigeants. L’entreprise s’est posé une question simple : comment permettre à ses salariés expérimentés de rester en emploi, dans de bonnes conditions, jusqu’à la retraite ? En adaptant les outils existants — comme le compte professionnel de prévention ou le dispositif de retraite progressive — un aménagement du temps de travail a été négocié. L’accord a permis une transition douce vers la retraite, sans précarisation ni perte de compétences pour l’entreprise.
Mais si l’entreprise joue un rôle clé ; elle ne peut porter seule la responsabilité de cette transformation. Sur la gestion des métiers pénibles par exemple ; comment attendre d’une entreprise qu’elle trouve, sur son périmètre légal, une solution bonne pour elle, pour les salariés et le bien commun ? Elle y parviendra parfois pour les deux premiers volets, mais jamais pour le troisième. Renvoyer à l’entreprise la gestion de l’emploi des seniors avec un cadre normatif pensé uniquement sur la recherche de l’équilibre du régime général des retraites, sans intégrer leurs pendants indispensables que sont les parcours de carrière et la préservation de l’emploi, limite ainsi le champ des possibles.
Une vision plus large que celle de l’entreprise seule est nécessaire pour donner aux seniors de nouvelles perspectives de parcours. Cela suppose de penser leur repositionnement au niveau du bassin d’emploi, en lien avec les autres entreprises, les branches professionnelles, les acteurs de la formation et les collectivités. Des dispositifs commencent à aller dans ce sens : plateformes territoriales de transitions professionnelles, initiatives interentreprises, mutualisation de compétences ou coopérations interbranches. Mais il est temps de les systématiser.
Et au-delà, il apparait indispensable de repenser le financement des salariés seniors, comme cela a été amorcé pour les chômeurs seniors dans le cadre de l’accord national interprofessionnel signé fin 2024. Une compensation partielle de leur rémunération par les régimes collectifs — assurance chômage, caisses de retraite — pourrait, par exemple, offrir une alternative concrète et équitable. Une politique générale globale emploi-retraite qui articulerait maintien en emploi et soutenabilité économique redonnerait alors du sens à l’action publique dans ce domaine.
Si l’on veut réellement préserver l’emploi et augmenter le taux d’emploi des seniors — en permettant, par exemple, à des salariés de cotiser au-delà de l’âge du taux plein pour générer une surcote et des revenus supplémentaires pour le régime —, laissons-leur une chance de ne pas être poussés vers la sortie dès que possible. Loin des clichés sur les seniors « trop chers » ou « dépassés », la réalité est plus nuancée, et bien plus prometteuse. Les entreprises qui agissent le savent : ces salariés expérimentés sont une richesse lorsqu’on leur donne les moyens de contribuer pleinement.
(*) Didier Cauchois, ancien juriste en droit du travail au parcours unique. Pendant 20 ans, directeur des ressources humaines et responsable du service juridique à la CFDT, il a participé à ce titre à de nombreuses négociations nationales sur des sujets tels que l’assurance chômage et la réforme des retraites. Actuellement, il est directeur de projet et expert en dialogue social au sein du cabinet LHH. Son rôle consiste à conseiller les grandes entreprises et les entreprises de taille moyenne sur des enjeux liés au dialogue social, notamment sur des dossiers de plans sociaux comportant des volets de négociations dédiés aux seniors.
Didier Cauchois