Depuis le 20 janvier, le gouvernement des États-Unis concrétise, accélère voire caricature des tendances progressant depuis plusieurs années.
Entraves au développement des sciences de l’atmosphère, de l’océan et du climat, effacement de données scientifiques, déni des faits établis et de la science en général, y compris dans le domaine médical, suppression du financement de programmes de recherche dans les agences NOAA, NASA, USAid, pourtant essentielles à l’échelle mondiale pour le climat et la santé. Sans oublier le refus de signer la déclaration commune pour un numérique inclusif et durable lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle : autant de décisions récentes qui interrogent.
Ce tableau alarmant a été complété par le message récemment dispensé à la Conférence de Munich sur la Sécurité dans un discours entérinant d’une part la volonté de mainmise américaine sur le numérique en Europe et l’accès aux données personnelles, et d’autre part l’attaque contre notre “Digital Service Act” qui est l’un des moyens de lutter contre la prolifération exponentielle de contre-vérités, de deepfakes et de désinformations via les médias sociaux. Le tout au nom d’une volonté de dérégulation à tout prix, qui peine à cacher les intérêts privés de certains, et les tentatives d’invalidation de résultats scientifiques contredisant l’orientation du gouvernement fédéral.
Les conséquences seront lourdes, non seulement pour la planète, mais aussi pour la France et l’Europe.
À cela s’ajoute une compétition acharnée sur les plans économique, technologique et industriel menée par la Chine et les États-Unis. Il est temps pour l’Union européenne de renforcer son autonomie stratégique, avec un rôle clé pour la France. Ensemble, elles doivent se positionner à l’avant-garde de la transition énergétique, de la décarbonation, de la compétitivité et de la souveraineté industrielle, notamment dans les secteurs de la santé, des transports, de l’alimentation, des communications et des technologies associées. Toutes deux doivent accélérer les investissements scientifiques, technologiques, industriels et de défense afin de protéger leur population, leur environnement, leur économie, leur industrie, leur démocratie et leurs valeurs.
Si l’on examine de plus près le domaine critique des technologies numériques, cela inclut de protéger les citoyens contre toutes tentatives de désinformation, de manipulation, de cyberattaques et de pillage de données, et donc de favoriser le développement d’un numérique et d’une intelligence artificielle salubres et sécurisés. Là aussi, une action déterminée est nécessaire.
Pour contrôler les outils, en particulier l’infrastructure numérique, pour développer l’IA et le numérique en général, la résilience, la cybersécurité, l’évolutivité et le passage à l’échelle des infrastructures numériques sont essentiels et peuvent permettre une transformation compétitive, indépendante et autonome. Cela nécessite la maîtrise des technologies clés telles que le cloud, les systèmes de bases de données, les télécommunications, les microprocesseurs et les supercalculateurs. L’Europe, qui a les compétences nécessaires, doit désormais réduire sa dépendance industrielle dans ces domaines avec une politique industrielle ciblée.
Autre condition de cette autonomie stratégique : la défense du Règlement général de Protection des Données et des cinq grands corpus en place destinés à réguler le numérique au niveau européen, même s’ils doivent être améliorés pour être plus facilement applicables. Parce qu’une information fiable est l’oxygène d’une démocratie et qu’une démocratie dans un environnement ultra digitalisé ne sera pas possible sans une régulation intelligente.
Enfin, dans un monde mouvant et en perpétuelle transformation, les pouvoirs publics doivent s’appuyer sur les institutions tiers de confiance et réservoirs d’expertises sur ces sujets singulièrement complexes. La création, par exemple, d’une instance de veille sur l’information scientifique et technique soutenue par les experts des académies nationales, pourrait permettre d’améliorer le traitement de l’information du grand public par les médias et les réseaux sociaux.
Parce qu’il n’y a pas d’innovation sans une science, une information et une technologie fiables, qu’il n’y a pas de démocratie sans régulation intelligente, l’Europe doit pouvoir rester l’Europe des Lumières, pleinement maîtresse de ses choix et mettant en œuvre un progrès raisonné, choisi et partagé.
(*) Tribune signée par Patrick Pélata, président de l’Académie des technologies et votée par les académiciens en assemblée.
Patrick Pélata